VI - Talent reconnu > Chèques-déjeuners chez les Vikings
Pourtant, avant d’amener le pavillon, Kickert et Osterlind avaient
tenté de ranimer l’entreprise par un moyen étonnant. M. Noer, fondateur
d’un prix littéraire, le Prix des Vikings et par ailleurs propriétaire
d’un restaurant établi au 31 rue Vavin, à l’enseigne "Chez les Vikings",
s’était laissé persuader par eux de servir durant la saison d’hiver,
chaque jour, quatre déjeuners gratuits à des artistes. Les
bénéficiaires étaient choisis par un comité présidé par M. Noer et
comprenant le sculpteur Despiau, les peintres Laprade, Marchand, Conrad
Kickert et Osterlind. Le secrétariat des invitations était assuré par
les Trois ateliers, en la personne d’Osterlind. Celui-ci était
d’ascendance suédoise ; peut-être les ancêtres de Conrad
avaient-ils eu, en Frise, quelque accointance avec les Vikings ?
On aurait pu penser que cet avantage attirerait des élèves aux Trois
ateliers situés dans le même quartier que "Chez les Vikings" et dont les professeurs distribuaient des tickets de repas. Or cet ancêtre des Restaurants du Cœur n’eut aucun succès
Un autre projet concernant le monde de l’art mérite d’être rappelé car
il évoque bien les efforts d’imagination que suscitèrent ces années
difficiles. En même temps qu’une centaine d’artistes, Kickert avait été
prié d’adhérer à une association dénommée "Artistes et amateurs d’art
associés" (1) dont le siège se
trouvait au 7 rue Boissonade, ce qui n’étonnera personne puisque le
secrétaire général en était Osterlind. Pour adhérer, chaque artiste
devait déposer auprès de l’association une de ses œuvres qui lui serait
payée plus tard au prix de mille francs (2).
L’association recrutait un nombre équivalent d’amateurs d’art, et
ceux-ci versaient la même somme. Chaque mois un tirage au sort
désignait un artiste et un amateur : la toile de l’artiste était
immédiatement délivrée à l’amateur, l’artiste encaissant le prix
convenu. Pour ces deux adhérents tout était terminé. Ils avaient dû
attendre quand même d’être désignés par le sort sans possibilité de se
dédire et de récupérer auparavant leur œuvre, ni leur versement. La
durée d’attente dépendait du hasard.
L’objectif du système était louable : faire un pont entre les
amateurs et les artistes en créant une réserve d’œuvres promises à la
vente à prix ferme et identique, œuvres financées d’avance par des
amateurs. Le tirage au sort évitait toute contestation. Pourtant le
système ne put démarrer. Du côté des artistes en raison de
l’incertitude quant à la date du règlement de l’œuvre dont ils se
priveraient alors qu'ils auraient une chance de la vendre plus vite en
le faisant directement. Du côté des amateurs, les avantages parurent
encore plus faibles : leur argent serait immobilisé sans aucun
profit et surtout ils n’auraient aucune idée de l’œuvre qui leur
échoirait, ni de son sujet, ni de son auteur.
Toute idée généreuse trouve des parrains, même si elle est discutable,
ce qui plaide en faveur du cœur humain. Le président d’honneur de
l’association était M. Huisman, directeur général des Beaux-Arts et les
deux co-présidents, René-Xavier Prinet et Emile Othon Friesz. A côté
d’Osterlind, déjà nommé, le trésorier portait un nom qui inspirait
confiance, Rothschild, même s’il n’était pas de la famille des
banquiers ! Kickert signa son bulletin d’adhésion, mais, en
attente d’un nombre suffisant d’adhérents de part et d’autre, le dépôt
des œuvres fut repoussé de proche en proche, tellement qu’on n’en parla
plus...
(1) : Comme l’indiquait le prospectus d’adhésion (archives Gard-Kickert).
(2) : Les artistes pouvaient aussi
déposer une œuvre de petit format pour laquelle il leur serait versé
500 F (76,34 €). Même montant pour les amateurs intéressés.