VI - Talent reconnu > Les "Trois ateliers"
Kickert, au début de l’année, bénéficiant d’un atelier plus spacieux,
songea à accueillir sur place, et cette fois-ci contre rémunération,
quelques élèves chaque après-midi. Pour le prix de trois cents francs
pour six séances, il proposait de leur fournir les bases des différents
genres : figure, portrait, paysage, nature morte, composition, et
ceci pour la peinture, l’aquarelle ou le dessin. Il avait fait imprimer
un programme qui, en dépit de sa présentation élégante, serait resté
banal s’il n’avait comporté une énumération des "Principes" sur
lesquels se fondait l’Atelier Conrad.
Enoncer ces principes relevait pour lui de la simple honnêteté.
Pourtant leur lecture était propre à susciter au mieux l’étonnement, au
pire le scandale. C'est avec sérénité qu'il ignorait ou contredisait
les idées reçues et la foi commune en matière d’art qu'il voulait
ouvert à toutes les recherches et à toutes les expériences. Comment,
dans cet état d’esprit, accueillir des propositions telles que :
"La Théorie est la science des lois. Elle est traditionnelle et
s’enseigne par l’étude des chefs-d’œuvre (visites dans les musées,
analyse des reproductions). La Technique est la science des moyens
d’expression... Il faut d’abord en montrer les possibilités et mettre
ensuite chacun en état de choisir, selon sa personnalité. Cette
personnalité (caractère, sensibilité, intelligence) on doit la
découvrir, la cultiver, la respecter, et c’est la tâche du maître qui,
revenant à la tradition des anciens, travaille au milieu de ses élèves
pour en faire des peintres".
Kickert, au début de 1931, s’il ne connut pas de tels sarcasmes,
n’enregistra pas non plus beaucoup d’élèves. Quelques mois après, il
fut approché par Osterlind et Oberkampf de Dabrun qui souhaitaient
constituer avec son concours, une Ecole technique de la peinture. Elle
serait nommée les Trois ateliers, serait établie sur deux étages dans
un vaste local sis au numéro 7 de la rue Boissonade où avait auparavant
travaillé un artiste en vitrail qui habitait encore dans l’immeuble,
car il en était le propriétaire. Une adresse bien commode pour Conrad,
installé au 18 de la même rue. Le prix envisagé pour les cours était
modéré, très inférieur à celui que demandait Kickert chez lui. Des
conditions d’enseignement bien différentes expliquaient cet écart. Ce
point échappa à Conrad à l’origine. Il s’attacha à faire inscrire dans
une brochure de présentation de la nouvelle école (1),
ce qu’il avait nommé "Principes" et qui, enrichi, devint "Aphorismes",
placés en introduction. Mais un peu plus loin, ses deux collègues, dans
la page "Organisation", avaient prévu un dispositif qui ne s’inspirait
nullement des "Aphorismes". Les heures des cours (de neuf heures à
midi ; de quatorze heures à dix-sept heures) se trouvaient
relativisées par la mention : "Un foyer-bibliothèque est à la
disposition des artistes pendant les heures des cours". Au surplus,
rien n’indiquait que les professeurs eussent à donner ces cours, ni
même à y assister, et leur liberté dans ce domaine se trouvait
renforcée puisqu’une obligation de présence leur était prescrite dans
la même page, mais pour une durée bien plus courte :
Heures de corrections des professeurs : Conrad Kickert : le lundi à 11 heures et le samedi à 16 heures Oberkampf de Dabrun : le jeudi à 11 heures et le mardi à 16 heures Osterlind : le mercredi à 11 heures et le vendredi à 16 heures Ici aussi une note en bas de page adoucissait l’obligation, du moins celle des élèves : "Les corrections ne sont données aux artistes que s’ils ont exprimé le désir d’être élève de l’un ou de plusieurs des professeurs". |