VI - Talent reconnu > Invitation à Deauville
Entre les deux séjours à Montchauvet, les Kickert passèrent à Deauville
le mois de septembre. Au dos d’une photographie le montrant en famille
sur la plage en tenue de bain, Conrad mit Valdo Barbey au
courant : "Mon vieux Valdo, le filon ! Ai fait de bons amis,
l’année dernière, à Deauville. Sommes invités tout le mois de septembre
chez administrateur du Casino (1), donc tout à l’œil : casino,
théâtre, baccara, courses ! ! Gée et Anne
bronzées ! ! Et heureuses, sans nerfs ! Moi,
travail ! ! Figures sur plage. Enfin ! ... Ci-jointe une
lettre au maire. Tu accepteras d’être conservateur de musée avec Gaston
de Villers et moi. Tu reconnais ton vieux Conrad, toujours organiser
quelque chose". Son enthousiasme fait plaisir et se justifie sans peine
si l’on se rappelle la vie difficile et presque héroïque du Conrad
solitaire de l’année précédente. Cette fois-ci la famille Kickert ne
campait pas sous la tente, mais était hébergée, sur invitation, dans un
bon hôtel (2) à mi-chemin entre le casino et l’hippodrome, endroits que
Conrad ne fréquenta pas. Il se distrayait en rejoignant un moment sa
famille pour se baigner ou en profitant de l’accueillante et bonne
table des Leloup. Il s’absorba surtout dans le travail :
aquarelles et huiles. Les figures qu’il peignit sur la plage, furent le
groupe amical des baigneuses avec les enfants, devant la rangée des
tentes à rayures au toit en coupole (3), et sur le même fond, le portrait
d’une jeune femme assise sur le sable, un mannequin en tenue de
promenade (4). Il profita des jours d’orage pour fixer la mer écumeuse et
le ciel chargé d’une "Tempête à Deauville" (5)
dont il dut faire plus tard trois répliques pour un salon et des
expositions, versions que différencient le format et les nuances des
tons gris ou bruns (6).
La création d’un musée à Deauville, projet que Kickert aurait mené
comme celui du Havre, n’eut pas de suite. Valdo Barbey le regretta
d’autant moins qu’il s’était d’emblée récusé : "Je ne marche pas.
J’ai horreur de toutes ces fonctions qui obligent à détenir une
parcelle de pouvoir" (7).
Gée s’était volontiers adaptée à la vie d’une station en effervescence
permanente, sans perdre de vue la petite Anne. Celle-ci passait du bain
aux agrès du portique et à l’édification de châteaux de sable,
activités d’autant plus excitantes qu’elles s’exerçaient dans un groupe
d’une demi-douzaine d’enfants auquel appartenaient des grandes comme
les nièces de Mado Leloup qui n’avaient pas moins de huit et de six
ans ! En tout cas Titanne eut la vedette le jour (8) où Joséphine
Baker entreprit de l’installer sur le dos de la panthère qui
l’accompagnait habituellement, jusqu’à ce que Gée bondisse pour sauver
sa fille.
(1) : M. Pierre Leloup, l’acheteur
de "la Cabane sous la neige" des Tuileries. CK avait surtout rencontré
l’année précédente, Mme Leloup et ses nièces, deux petites filles
qu’elle accompagnait tous les jours à la plage non loin de l’endroit où
il travaillait. Les deux couples Leloup et Kickert s’étaient ensuite
rencontrés et liés à Paris. L’administrateur du casino à qui Osterlind
avait recommandé CK sans succès l’année précédente, était une autre
personne.
(2) : "A l’ermitage des dunes", 87 rue Albert Fracasse.
(3) : "Plage de Deauville" 1929 (65 x 54 cm) Opus 29-01.
(4) : "Belle de plage" 1929 (65 x 50 cm) Opus 29-02.
(5) : "Tempête à Deauville I" 1929 (40 x 50 cm) Opus C.29-03 ;
"Tempête à Deauville II" 1929 (73 x 92 cm) Opus A.29-19 ;
"Tempête à Deauville III" 1929 (50 x 65 cm) Opus 29-11 ;
"Tempête à Deauville IV" 1931 (54 x 65 cm)
Opus 31-13, cette dernière version curieusement titrée "Tempête au
Havre".
(6) : Sans que l’on puisse
toujours distinguer ce qui a été voulu par le peintre et ce qui
provient du vieillissement du tableau.
(7) : Carte de Valdo Barbey à CK datée "Anvers, 14 septembre 1929".
(8) : Il y a un doute, non
sur cette anecdote que personne ne put oublier, mais sur le fait que
l’événement se passa en septembre 1929 ou bien lors du séjour suivant
des Kickert à Deauville en 1930.