VI - Talent reconnu > Que sont Picasso et Braque devenus ?
A Paris, Kickert exposa aussi trois fois en groupe dans des galeries privées. En avril chez Briant-Robert (1),
il montra des dessins, précisément des portraits car c’était le thème
de cette présentation, où voisinaient Picasso, Vlaminck, Derain,
Pascin, Le Fauconnier, La Patellière, Conrad et... André Lhote. En
décembre, encore des dessins à la galerie Marseille (2).
Et des toiles de petit format à la galerie Mantelet où l’on pouvait
voir, parmi bien d’autres œuvres, des Osterlind "tempétueux" et "des
mers très vivantes de Conrad" (3).
En province, Kickert se manifesta en juin par l’envoi de trois toiles au salon du Limousin (4), c’est-à-dire à l’exposition annuelle des "Amis des arts de Limoges". Puis on put voir à la galerie Maury (5)
du Havre, ville où Osterlind avait des attaches par sa mère, une
exposition commune aux deux amis. Conrad y exposa une quinzaine de
toiles : vues de Honfleur ou de Chevreuse et trois natures mortes.
Les deux peintres firent l’objet d’un concours de dithyrambes entre les
critiques havrais. En août, Kickert montra dans la même ville deux
paysages et deux natures mortes (6)
au salon de peinture organisé ici aussi par une Société des amis des
arts. Société toujours vaillante bien que créée quatre-vingt-treize ans
plus tôt et qui avait saisi cette occasion de renforcer la phalange de
ses artistes locaux. Les liens de Kickert avec Le Havre se trouvèrent
renforcés par l’entrée de la "Nature morte aux citrons" (7)
au musée municipal. Ultérieurement, ce même musée, grâce à Conrad aidé
par Osterlind et sous l’égide de son actif conservateur, devait
s’enrichir d’une belle collection d’art contemporain (8).
Enfin aux Pays-Bas, Kickert envoya directement deux toiles à une exposition organisée par un groupe baptisé "Indépendants" (9)
et en vendit une. Dans le même temps il refusait d’envoyer des toiles
récentes à la Galerie d'art français et renouvelait sa demande de voir
revenir celles qu’elle détenait. Van Deene ne cacha pas son amertume de
voir Kickert galvauder sa réputation en participant à un groupe qui
n’avait rien de commun, en dépit de son nom, avec les Indépendants de
Paris et dont la seule ambition, en invitant Kickert, avait été de
donner un peu de relief à leur "bazar", alors que, de son côté,
lui-même faisait tant de sacrifices pour porter à un haut niveau la
réputation de Kickert (10). De
plus, les prix demandés par celui-ci et inscrits au catalogue de ces
"Indépendants" – donc rendus publics – étaient très inférieurs à ceux
qu’il avait lui-même enjoint à van Deene de pratiquer. Autre
grief : Conrad avait vendu directement une toile au jonkheer van
Kinshot de passage à Paris alors que ce personnage était un client, au
moins potentiel, de la Galerie d'art français. En raison des efforts
qu’il avait faits en faveur de l’œuvre de Kickert, van Deene s’en
considérait comme l’agent exclusif auprès des Néerlandais (11).
Conrad estimait de son côté que l’aide apportée par lui-même à la
fondation et au développement de cette galerie devait lui valoir plutôt
des droits qu’une limitation de sa propre liberté.
Cependant, van Deene confirmait sa volonté de continuer à promouvoir
l’œuvre de Kickert et son refus de retourner les œuvres qu’il détenait,
du moins la totalité. Il déclarait qu’il n’avait d’ailleurs pas le
premier sou pour régler les frais de transport et révélait de plus,
qu’il avait envoyé quatre toiles de Conrad à Arnhem où se tenait
jusqu’au 5 juillet une grande exposition d’art français (12).
Conrad, nolens volens, participa aussi à une exposition de groupe à la
Galerie d'art français entre le 11 août et le 1er septembre, en
compagnie de quatorze collègues parisiens dont Segonzac. Van Deene
déplorait, en outre, que Conrad, malgré ses recommandations de n’en
rien faire, eût demandé par écrit au Rijksmuseum (13)
le retour de la toile de Braque et du dessin de Picasso qu’il avait mis
en dépôt en 1911. "Je ne puis qualifier cela autrement que comme une
balourdise" lui écrivit-il (14).
En fait, Kickert avait délibérément agi ainsi en réponse au récent
refus par le Rijksmuseum d’une œuvre de Mondrian, et il comptait par
cet éclat dénoncer les conceptions trop conservatrices et la politique
frileuse de ce musée. C’est pourtant van Deene qui fut chargé de
récupérer auprès du Rijksmuseum le Braque, le Picasso et de surcroît un
Le Fauconnier. S’il ne le fit pas de gaieté de cœur, il s’y employa
avec son dévouement habituel (15). On ne sait malheureusement pas ce que devinrent ces œuvres après leur restitution.
(1) : Exposition intitulée "Dessins de têtes", 7 rue d'Argenteuil, Paris 1er (entre le Palais Royal et Saint-Roch).
(2) : La participation de CK
est évoquée dans une lettre que lui adressa, le 12 décembre, Valdo
Barbey qui écrit être allé y "regarder l'exposition de nos dessins". En
fait, de nombreux artistes y figuraient.
(3) : Mareschal in la Semaine à Paris du 24 décembre 1926.
(4) : Deux paysages et une…
"Nature morte à la cruche blanche et au plateau de fruits" 1925 Opus A.25-45.
(5) : Du 5 au 17 juillet 1926, 26 rue Jules Siegfried, Le Havre.
(6) : Dont la nature morte au vieux tapis qui est peut-être la…
"Nature morte au tapis norvégien" 1925 (65 x 92 cm) Opus 25-09.
(7) : Cf. lettre du conservateur (archives Gard-Kickert).
(8) : Cf. infra année 1928, p. 255.
(9) : En néerlandais : Onafhankelyken.
(10) : Lettre de van Deene à CK du 12 juin 1926.
(11) : Lettre de van Deene à CK du 25 septembre 1925.
(12) : Lettre de van Deene à CK du 12 juin 1926.
(13) : Lettre de CK à F. Schmidt-Degener, directeur du Rijksmuseum, du 10 juin 1926 (archives du Rijksmuseum, n° 263).
(14) : Lettre de van Deene à CK du 12 juin 1926.
(15) : Lettre de van Deene à CK du 6 juillet 1926.