VI - Talent reconnu > Les trois salons parisiens
En revanche Conrad Kickert ne manqua pas de participer aux trois grands
salons parisiens, car il pensait qu’on ne pouvait pas progresser à
l’écart du jugement d’autrui, quoi qu’il en pût coûter pour
l’amour-propre. Et son amour-propre y fut cette année-là un peu
malmené. aux Indépendants (1) il présenta "l’Après-Midi d’un peintre" en ayant conscience qu’il prenait des risques à montrer
uniquement une composition complexe dans un grand format. S'il obtint
l'hommage des plus grands critiques, il dut quand même subir les
humeurs de quelques-uns. Par exemple de ceux qui n’admettent pas ce
genre de sujet, comme Florent Fels (2)
: "Conrad Kickert. Le type "toile du salon" morceau de bravoure sans
nouveauté, sans intérêt". Fels qui récidivera en mai dans la revue ABC où
il regretta "les toiles qui retiendront l’attention, ce sont les
"grandes machines" de Conrad Kickert, de Kvapil, de Delaunay...". Les
critiques encore de ceux qui n’aiment pas voir leurs classifications
bousculées : "Mais le plus mauvais, le plus prétentieux tableau de
ce salon est celui de M. Conrad Kickert qui aurait bien dû s’en tenir à
ses petites natures mortes d’antan" (3).
Beaucoup se contentèrent d'inclure Kickert dans leur liste comportant
parfois jusqu'à cent peintres choisis entre les mille sept cents
exposants, mais sans rien dire des œuvres que leurs élus avaient
présentées (4). Une position habile fut celle de Vauxcelles qui nomma Conrad en passant (5) : "Huyot (Albert), trop près de Conrad Kickert". Subtil aussi le procédé du Crapouillot qui
ne cite pas Kickert mais publie une reproduction de l’œuvre sans
commentaire. Conrad trouva-t-il plus de réconfort dans la remarque de
V.B. (6) "un amusant pastiche
du "Concert champêtre" de Giorgione" lui attribuant ainsi la paternité
d’une toile qu'il décrit suffisamment pour que l’on identifie celle
qu'exposait un autre peintre, Adrien Thévenot ? Ou bien dans la
critique de Ray (Europe Nouvelle)
qui a vu de Conrad à ce salon plusieurs grandes toiles ? Ou encore
dans les nombreux commentaires qui ne s’intéressent qu’aux académies et
escamotent le peintre ? Tels ceux d’Edouard Sarradin (7) jugeant que "dans le nu, MM. Iser, Kvapil, Picart-Le Doux, Conrad, se distinguent singulièrement". Ou encore de Soubeyre (8)
: "Mais le nu robuste, de ligne forte et de touche sûre appartient à
Picart-Le Doux, à Anspach, à René Besserve, à Conrad Kickert, à Paul
Colin". De Tabarant (9) signalant "une belle débauche de nus" et précisant "en plein air". C’est ce dernier point qui a frappé aussi Martin (10), Strohl (11), Arsène Alexandre (12), et Bouyer (13) ; les deux derniers évoquant Giorgione et Manet. A la décharge de tous ces critiques on peut citer René-Jean (14)
estimant que "Conrad Kickert semble juxtaposer deux sujets pour former
un tableau" et penser que les autres n’ont voulu parler que d’une chose
à la fois. Certains de leurs confrères font en un ou deux mots un éloge
de l’œuvre : "very good" pour l’un (15), parmi "les meilleurs envois" pour un autre (16), "savoureuse" ici (17). Ailleurs c’est le peintre qu’on juge "en progrès" (18), "qui décroche tous les ans le prix d’excellence" (19). Un peu plus prolixe, Rémon (20)
signale "une grande composition de Conrad Kickert met en valeur par de
splendides morceaux ses superbes dons de coloris". André Thérive (21)
voit ses mérites ailleurs : "une toile excellente de Conrad
Kickert, qui continue à faire un peu musée, mais qui est un admirable
manieur de pâte, et du moins fait enrager les bâcleurs et les
autodidactes qui l’accusent de scolarité", une appréciation qui prend
toute sa saveur quand on se souvient que Conrad était l'autodidacte
absolu.
(1) : Du 20 mars au 8 avril, au Palais de bois à la porte Maillot.
(2) : In Art vivant du 20 mars 1925.
(3) : Neillot in le Progrès de Moulins.
(4) : Le Messin (Metz) du 21
mars 1925. Fegdal in la Revue des beaux-arts du 1er avril 1925. Pierre
Ladoué in l'Art et les artistes n° 56, d'avril 1925, page 249.
Raynal in l'Intransigeant du 27 mai 1925.
(5) : In l'Ere nouvelle du 20 mars 1925.
(6) : Initiales non décryptées in le Charivari du 29 mars 1925.
(7) : In le Journal des débats du 20 mars 1925.
(8) : In la Nouvelle Revue du 15 avril 1925.
(9) : Sous le pseudonyme de l'Imagier, in l'œuvre du 25 mars 1925.
(10) : In Paris-Soir du 21 mars 1925.
(11) : In les Dernières nouvelles d'Alsace du 29 mars 1925.
(12) : In le Figaro du 20 mars 1925.
(13) : In le Journal de l'Art du mai 1925.
(14) : In Comœdia du 22 mars 1925.
(15) : In Daily Mail du 21 mars 1925.
(16) : In le Cri de Paris du 22 mars 1925.
(17) : Regamey in le Nouveau Journal (Strasbourg) du 29 mars 1925.
(18) : Vanderpyl in le Petit Parisien du 20 mars 1925.
(19) : Maurice Raynal in l'Intransigeant du 27 mars 1925.
(20) : In Radical du 21 mars 1925.
(21) : In la Revue du siècle du 1er mai 1925.