IX - Adopté par l'Auvergne > Séjour à Thiézac
Aux Pays-Bas, plusieurs œuvres de lui, réunies à l’initiative d’on ne
sait qui, furent exposées en même temps que celles de six peintres peu
connus, à La Haye, Haagsche Kunstzaal Plaats. Le journal HBL
(probablement le Handelsblad) du 15 juillet en fit la critique sous la
plume de J. Nieuwenhuis. Le début de son article donne le ton :
"Conrad Kickert est un compatriote qui, depuis de longues années, a
cherché son salut à l’étranger. Il n’a pourtant pas appris, comme tant
de Hollandais, à peindre en France d’une manière plus légère et plus
claire. Au contraire. La petite collection de la Galerie Plaats le
montre comme un peintre au travail sombre dans des couleurs de terre
lourdes, parfois d’une facture semble-t-il difficile, la pâte épaisse
travaillée au couteau". La suite n’est guère plus aimable. Non
seulement la désertion ne lui a pas été profitable, mais il a bien mal
récompensé sa terre d’asile : "Sur ses tableaux, la "douce France"
a peu de gentillesse, c’est un vieux pays, négligé et un peu abandonné.
L’impression mélancolique est renforcée par les maisons qui sont vues
de côté avec presque pas de fenêtres, ce qui leur donne une expression
de renfermement nordique". Puis le critique d’art s’efforce de montrer
sa magnanimité et son objectivité : il trouve dans ces œuvres "du
caractère" et même "au plus haut degré", il concède "un laisser-aller
mâle" et voit Kickert "dans son élément dans les grandes formes vues de
près, comme la Ferme près du Moulin". Pour terminer, il signale aussi
"des aquarelles et des dessins réussis". Les autres exposants n’ont
droit chacun qu’à quelques lignes précédées d’un chapeau qualifiant
leur prestation "d’ensemble bigarré".
Kickert était resté à Aurillac durant son exposition auvergnate et
jusqu’au retour de ses œuvres à son atelier. Ce n’est donc qu’à la fin
d’août qu’il retrouva Thiézac. Il logea à l’hôtel Debladis,
établissement rustique et assez inconfortable qui rachetait ces
insuffisances par le dévouement des propriétaires et du personnel à son
endroit. Son acharnement à la tâche servi par une puissance de travail
exceptionnelle, suscitait leur admiration. Rien n’empêchait Conrad de
peindre, concentré, au point d’oublier l’heure. Il lui arrivait ainsi
d’être victime d’hypoglycémie. Prévoyant, il se munissait de morceaux
de sucre qu’il avalait si une crise se déclenchait. Puis, le malaise
s’atténuant, il reprenait son travail et le menait jusqu’au point où il
pouvait être laissé et repris plus tard. Car un paysagiste est esclave
de son sujet. Il n’en dispose pas, il le sert. L’artiste doit saisir
tout ce qui rend unique l’aspect que la nature lui présente, fait de
plus de variables que de constantes (et pas seulement dans les ciels),
et doit traiter ces données avec sa sensibilité, son humeur, mais
aussi, dépassant le sentiment, avec sa conception de ce qu’elles
enseignent et signifient.
Arrivé tard à Thiézac, Kickert y trouva tant de choses à faire qu’il y
consacra aussi l’automne et le début de l’hiver. Il transporta son
chevalet aussi bien au fond des gorges de la Cère qu’aux chemins menant
aux Monts du Cantal. D’où il résulte que les quelque vingt-cinq
paysages peints à Thiézac et aux alentours cette année-là, vous y
promènent en tous coins et en toutes saisons, en montrent les
constructions typiques, les rivières à l’étiage et en crue, les
prairies et leurs murets, les pentes couvertes d’arbres verts ou dorés,
les rochers dressés ou éboulés , les chemins tournants, la route
nationale, ses ponts, sa chaussée recouverte de neige ou de son noir
bitume, les sommets qui surplombent le pays huit cents mètres plus
haut, sous tous les ciels, lumineux, orageux ou embrumés.
Les Osterlind le rejoignirent pour une petite quinzaine en septembre et
de nouveau plus longuement en décembre. Serge de Belabre y passa aussi
et se refit une santé (1) au point de multiplier les excursions et les paysages, en compagnie de Conrad.
(1) : Après avoir été atteint, à
Saint-Cloud, d’une broncho-pneumonie et d’une paratyphoïde, puis d’une
douloureuse sciatique en Charente (lettre de Serge de Belabre des 12
mars et 3 juin à CK, archives Gard-Kickert).