II - Cercle de l'art moderne > Cézanne au Moderne Kunstkring de 1911
Pour abriter l’exposition de 1911 (et les deux suivantes) Conrad Kickert obtint plusieurs salles du Suasso (1) (Musée municipal d’Amsterdam). Ce qui était plus important encore, il eut, grâce à Steenhoff (2), la permission de prélever dans les réserves du Rijksmuseum (le
musée royal, en France nous dirions national), des toiles de Paul
Cézanne. Il fit donc de Cézanne l’invité d’honneur de cette
manifestation qui dura du 6 octobre au 5 novembre. Cette collection de
Cézanne avait été prêtée au Rijksmuseum par
une famille qui se déchirait dans un pénible et interminable procès.
Kickert avait cru bon d’indiquer sur le catalogue le nom et l’adresse
de G.W. van Blaaderen comme propriétaire de la collection. Initiative
jugée inadmissible par certains protagonistes, ce qui obligea Kickert à
faire exécuter un tirage corrigé du catalogue, mentionnant cette
fois : "collection Hogendijk".
Il en profita pour y apporter des modifications de dernière minute,
essentiellement des ajouts de toiles supplémentaires de divers
artistes, se montant à quatorze œuvres. Ne nous étonnons pas de ces
correctifs : aucun peintre ne sait s’il est satisfait de sa
participation tant qu’il ignore de quelle surface de cimaise les autres
vont disposer ; il faut ensuite tenir compte de sa susceptibilité.
Avec ces dernières modifications, le catalogue comportait 180 numéros.
Dans ce nombre, Cézanne figure pour vingt-huit tableaux, Picasso pour
sept, Braque et Mondrian pour six chacun. Il faut s’arrêter un moment
sur ce décompte concernant des gloires de la peinture moderne et songer
à ce que le MKK faisait en
faveur de celle-ci. Certes, à l’époque ces œuvres valaient beaucoup
moins cher qu’aujourd’hui. On devrait en admirer d’autant mieux le rôle
de pionnier de Kickert. De nos jours, réunir un tel ensemble serait
hors de portée du directeur de musée le plus actif ou même le plus
ambitieux.
Dans cette exposition la suprématie de l’art français était établie par
l'autoportrait de Cézanne entouré de sept paysages et de vingt natures
mortes peintes par le même. De plus, la prédominance de Paris se
constatait chez les contemporains vivants dans le domicile de chaque
artiste, indiqué à la suite de son nom : sur les trente et un
exposants, quinze vivaient à Paris ou dans les départements contigus de
la Seine. Parmi eux on pouvait recenser trois Néerlandais (non compté
van Dongen pourtant né à Delfshaven), à savoir Schelfhout, Verhoeven et
Otto van Rees. Une dizaine de peintres français comme Braque, Maurice
de Vlaminck, Odilon Redon, Jean Puy, Charles Manguin, Auguste Herbin,
Othon Friesz, Raoul Dufy, André Derain, Maurice Denis, car Conrad
Kickert n’avait pas manqué de les inviter ainsi que l’allemand Rudolf
Levy (3). Cependant les
Néerlandais vivant aux Pays-Bas, figuraient fort bien avec Leo Gestel,
Piet Mondrian, Jan Sluyters, Jaap Weyand d’Amsterdam, tandis que Toorop
et sa fille Charley représentaient Nimègue, Jacoba van Heemskerck,
Bois-le-Duc, et Herman Kuyt, Laren.
(1) : Les Amstellodamois appelaient ce musée, le "Suasso", usage tombé en désuétude.
(2) : Critique d’art, comme on l’a dit au chapitre précédent, il faisait partie en même temps de l’état-major du Rijksmuseum.
(3) : Dont le destin fut
tragique : arrêté en Italie par les Nazis, parce que juif, il
mourut en 1943 dans le transport vers un camp de déportation.