II - Cercle de l'art moderne > Gestel et Sluyters
Il importe de signaler que deux nus de Gestel et un de Sluyters, bien
qu’inscrits au catalogue, ne furent pas montrés au public. Le directeur
du Suasso, M. Baard, leur
avait trouvé au dernier moment un caractère sensuel trop provocant et
avait interdit leur accrochage, une intervention dont Conrad fut outré,
mais contre laquelle il ne put rien. Le bruit de l’incident se répandit
et selon certains (1) le succès de l’exposition s’en trouva accru. A la vérité, si la réputation du Moderne Kunstkring
se trouva d’emblée établie si haut ce fut pour des motifs plus
sérieux : la Hollande apparaissait tout d’un coup comme convertie
à l’art moderne. Certains critiques s’émerveillaient devant cette
éclosion surprenante (2), d’autres plus réservés s’empêtraient à
justifier leurs goûts artistiques très conventionnels sans oser
condamner la garde montante. Le chemin parcouru était immense. Il
suffira pour s’en rendre compte d’évoquer le guide Baedeker de 1910, la
"bible" à cette époque des voyageurs et touristes dans tous les pays du
monde qui traitait avec autorité de ce que chaque contrée offrait
d’intéressant. Baedeker à propos de l’art moderne aux Pays-Bas, faisait
part de l’intérêt de La Haye et des peintres rattachés à l’école du
même nom, mais jugeait bon de prémunir le lecteur contre les efforts de
peintres d’Amsterdam qui prétendaient aiguiller le public vers un
modernisme de mauvais aloi. Seul Toorop, en raison de ses toiles
d’inspiration religieuse (et qui du reste ne vivait pas dans la
capitale batave), bénéficiait d’un peu plus d’indulgence.
Conrad Kickert n’avait placé aucune de ses œuvres dans cette exposition
inaugurale, non pas qu’il se sentit indigne d'accompagner ses collègues
et amis, mais parce qu’il pensait, en tant qu’initiateur et
organisateur, devoir se contenter du rôle d’hôte, accueillant les
autres et s’interdisant de se faire valoir lui-même. Quatre ans plus
tard, alors qu’il était attaqué avec outrance dans la presse au sujet
du MKK, ses détracteurs eux-mêmes ne purent s’empêcher de noter cette abstention à son crédit (3).
Et lorsque, en 1982, une plaque fut apposée sur la façade de l’atelier
parisien de Kickert pour le centenaire de sa naissance, l’ambassadeur
des Pays-Bas signala le fait dans son discours, puis s’interrompit une
seconde, songeant à l’élégance et à la rareté d’un tel comportement,
avant de s’exclamer : "ça, c’est Conrad Kickert !".
(1) : Cf. de Kunst, n° 246 (daté
du 12 octobre 1912), page 17 : l’article de N.H. Wolf qui évoque
l’exposition du MKK en 1911.
(2) : Citons Frans Vermeulen in de
Ploeg n° 5 de novembre 1911 ; W. Steenhoff in de Amsterdammer
des 15 et 22 octobre 1911 ; Maria Viola in Van onze Tijd,
n° 12 (1911-1912).
(3) : Cf. l’article de Cornelis Veth in de Telegraaf du 17 octobre 1915.