II - Cercle de l'art moderne > Gauguin au Moderne Kunstkring de 1912
Après le coup d’éclat que fut la première exposition du MKK, Kickert
aurait pu tenter de vivre sur ce succès, du moins se contenter de
l’exploiter. Ainsi, recommencer un an plus tard à exposer de l’art
véritablement moderne témoigne d’une ardeur intacte à soutenir ses
thèses, d’une persévérance puisée dans la jeunesse de l’esprit et du
caractère, et soutenue par la passion. Car l’exposition qui s’ouvrit au
Suasso le 6 octobre 1912 et
s’y prolongea jusqu’au 7 novembre, ne redoublait pas la précédente.
Elle s’appuyait sur cet acquit pour aller plus loin, elle "enfonçait le clou"
certes, mais voulait aussi élargir sa démonstration. On y trouva encore
un hôte d’honneur. Après Cézanne, c’est Gauguin qui va représenter
l’ouverture et la nouveauté. Une bouchée plus difficile à avaler que la
précédente. Le maître d’Aix montrait une force brute, une création
évidemment révolutionnaire, encore qu’enfermée dans les principes
rigoureux qu’il s’était donnés. Gauguin, moins assuré de son but et de
ses moyens, offre une gamme d’œuvres (vingt-trois en tout) dans
laquelle il cherche une voie plutôt qu’il ne l’indique. Cela va d’un
portrait d’enfant, le premier tableau qu’il ait peint, pense-t-on, à un
paysage de 1874 et au portrait de van Gogh (Arles 1888). Sept tableaux
venaient de Mme L. Cohen-Gosschalk-Bonger, belle-sœur de van Gogh.
Quant aux seize autres œuvres, il avait fallu que Conrad les pêchât,
les unes après les autres, chez divers amateurs, une tâche plus
difficile que pour les Cézanne du Rijksmuseum. Kickert avait déjà eu en tête d’exposer des Gauguin au MKK de
1911. Il avait même compté sur l’apport d’un dessin, d’une lithographie
et probablement de deux esquisses. Il avait noté de sa main le titre de
ces œuvres, avec en face, un prix à proposer, au verso de la première
page de catalogue du MKK 1911.
La deuxième version du même catalogue n’en contenait plus trace ;
le prêteur potentiel reste inconnu. En 1912, des gravures sur bois en
noir et en couleur, témoins de la période de Tahiti, étaient prêtées
par Artz et de Bois, les marchands de La Haye qui avaient de plus
fourni huit œuvres du graveur français Rodolphe Bresdin (1),
un apport suffisant pour justifier un accrochage particulier pour ce
second invité d’honneur, mais propre peut-être à désorienter le public,
car Bresdin allie la minutie et la précision de son travail à une
inspiration qui se plait dans le fantastique.
Le catalogue de l’exposition consacre à Gauguin et à Bresdin les
numéros 1 à 31. Il est orné cette fois-ci de seize reproductions en
noir et blanc. De plus, il comporte deux textes qu’il faut qualifier de
didactiques et qui méritent un commentaire détaillé. D’abord un
avant-propos de Conrad Kickert, en néerlandais bien sûr, dans lequel
celui-ci s’efforce de donner une justification logique au choix qu’il a
fait des toiles exposées ; mais il n’est qu’à moitié convaincant dans
cet écrit. Peut-être le fut-il davantage en développant oralement ses
idées le jour du vernissage ? Pour bien cerner le modernisme qu’il
vante, il fulmine contre les suiveurs, les contrefacteurs de l’art
moderne. Ceci visait des artistes italiens dont les œuvres avaient été
exposées récemment aux Pays-Bas sous le nom de "futuristes", œuvres que
certains critiques auraient pu croire représentatives du modernisme. Il
évoqua aussi – ce qui ne figurait pas dans son texte imprimé – le refus
de ses amis cubistes d’occuper la place qu’on leur avait réservée dans
l’exposition Quadriennale dont l’invitation, expliqua-t-il, cachait un
but politique : se donner le beau rôle d’un invitant aux idées
larges, et profiter, pour des travaux traditionalistes, d’une sorte de
caution de ces modernes ayant accepté de mêler leurs œuvres aux leurs.
Par cette confidence – qui fut largement divulguée – le Cubisme se
posait en tendance bien établie dont les représentants ne se
commettaient pas avec n’importe qui.
(1) : Montrelais (Loire-Atlantique)
1822 - Sèvres 1885. Ses gravures n’ont pas été comprises de son vivant,
sauf par Baudelaire et par son élève Odilon Redon.