IV - Aux Pays-Bas pendant la guerre > Campagne médiatique contre Conrad Kickert
Curieusement, cette campagne ne se déclencha qu’avec retard. Un certain van den Eekhout (1), dans le n° 41 du 9 octobre 1915 d’un hebdomadaire (2),
ouvrit le feu en parodiant une assemblée dans laquelle un
Boudha-Kickert renvoie Sluyters et Gestel, puis descendant de son
septième ciel, se crée un associé qui se dédouble et s’installe au
Keizersgracht, dans une vieille impasse et, à l’insu de Toorop,
collectionne d’innocents membres d’honneur. Il cite trois de
ceux-ci : un professeur ouvert sur le Moyen Âge, le jonkheer
Roëll, qualifié ironiquement de moderne homme d’état, et le jonkheer
van Riemsdijk, futuriste du Rijksmuseum.
Ensuite il en désigne d’autres sous des noms de fantaisie tels que
jonkheer van Biskwiedollar de Ladykiller, baron Cliquot, comte Boum, en
signale encore plusieurs sous leurs fonctions supposées d’ambassadeurs
du Guatemala, de Bagdad, d’Assyrie, du Mexique... et "quatre autres types, vieux messieurs, qui ont, eux, du savoir-vivre". Il conclut : "Qui ne voudrait en faire partie ?"
Cette première salve manquait de portée, comme ces plaisanteries de
finesse. On utilise dès le 17 octobre une artillerie beaucoup plus
lourde : le Telegraaf publia
un long article de Cornelis Veth sous la forme d’une lettre ouverte à
Kickert (ou plus exactement à "M. Conrad Kickert van et tot den
Egmondt" (sic), président du Moderne Kunstkring).
Le texte faisait pour commencer l’éloge d’un jeune critique dont le nom
était orthographié d’une manière bien hollandaise, devenu, avec
quelques autres peintres hollandais et étrangers, le créateur du MKK,
s’abstenant d’y exposer lui-même au début. Puis il adresse un rappel à
l’ordre à Kickert pour son comportement au sein de cette association, à
savoir l’annonce ronflante d’une installation au Keizersgracht, la
célébration d’un groupe restreint mais ("selon vous") en pleine
croissance, d’artistes modernes et unis, répandus à travers toute
l’Europe. Il interrompait à ce moment son compte-rendu pour manifester
sa réprobation dans ces termes : "Voulez-vous
que je vous dise quelque chose : nous nous moquons de vos artistes
modernes répandus en Europe et de leur unanimité. C’est vraiment bien
le moment de venir nous rapporter vos dernières découvertes à
l’étranger ! Qu’avez-vous fait avec les artistes modernes
hollandais ?"
Cornelis Veth décrit alors une débâcle du MKK,
dont subsisterait à côté de Kickert, un seul membre hollandais, le
sieur Weyand, après la radiation arbitraire et insultante de Gestel et
Sluyters, les dérobades de Mondrian et Schelfhout, la mutation de
Toorop de président à figurant, la nomination, sans respecter les
statuts, de deux nouveaux membres et, comme président, de Kickert qui
pourrait donner aux présidents mexicains des leçons de coup d’Etat. Il
s’insurge contre la nomination par télégramme de membres d’honneur qui
ignoraient devenir non pas membres du MKK d’origine, mais de "l’association vouée au maintien et aux bons soins d’un Kickert, à la réputation mondiale" et sont devenus ainsi les dupes d’une farce de carnaval. "Comment
est-il possible – continue-t-il – que vous, un artiste, ne vous soyez
pas rendu compte que les co-fondateurs, que vous avez éliminés du
Cercle, avaient spirituellement une part là-dedans plus grande que
vous-même ? Quel est ce pouvoir qui vous permet de vous approprier
le nom et l’avenir de ce corps ? J’ai honte pour vous d’être
obligé de le dire : c’est tout simplement le pouvoir de
l’argent ! Votre indépendance sociale vous a donné la possibilité
de développer vos dons d’une manière plus favorable que pour la plupart
de vos invités […] Qu’est-ce qui dans tout cela a le plus d’importance
et qui me contraint à vous écrire cette lettre ouverte ? [...]
C’est que l’art moderne, quelle que soit sa forme, est une affaire
sérieuse et qui concerne toute l’humanité [...] Vous-même l’avez dit
dans des termes admirables [...] Cet art moderne en Hollande ne doit
pas dès à présent devenir un article de mode avec des trucs (petites
soirées, maisons patriciennes, membres d’honneur). Revenez sur vos
erreurs [...] Laissez votre MKK redevenir ce qu’il peut être [...]
J’aimerais vous prescrire une halte dans votre travail d’organisateur".
(1) : Sans rapport avec les Eekhout van Vollenhoven qui avaient soutenu le tout jeune Conrad.
(2) : Hebdomadaire non identifié par l'auteur.