V - Epanouissement à Chevreuse > Les Couleurs de La Haye
Vers la même époque Kickert s’était engagé dans une autre aventure qui
ne lui rapporta presque rien, mais qui du moins lui permit un temps
d’avoir gratuitement des tubes de couleurs ; et surtout de
pénétrer les petits secrets des fabricants et d’approfondir ainsi ses
connaissances dans le domaine des matières à utiliser. Une firme
artisanale et très sérieuse de La Haye au nom imprononçable (1), que
Kickert fit changer pour la France en "Couleurs de La Haye", l’avait
approché dès fin 1919 pour qu’il contribuât à l’introduction à Paris de
sa production. Cependant les opérations ne débutèrent que fin 1921. En
fait, en dehors des maisons Guichardaz puis Castelucho (2) (couleurs
fines, toiles, encadrements, etc.) à Montparnasse, un nombre infime de
marchands adoptèrent ces fournitures. On voit mal du reste Kickert
faisant du démarchage. Le seul avantage sur lequel la firme hollandaise
pouvait compter, c’était de se recommander de son nom quand elle
sollicitait directement un revendeur français.
Conrad avait droit à une commission de 10 % sur les factures. Du
début de 1922 jusqu’à 1930, il semble avoir bénéficié à ce titre,
chaque année, de l’équivalent de sept cents euros (3). D’après ce qu’en
dirent les amis Dubreuil, Gromaire, Chris de Moor (4), etc. tout le monde
se félicitait de la qualité des "Couleurs de La Haye".
Cela ne faisait pas beaucoup de bel argent et Conrad entra dans une
période si difficile qu’en fin d’année il cherchait à emprunter auprès
de quelques amis. Il sonda Hans Keuls, conseiller juridique à Amsterdam
– qui l’avait été du Moderne Kunstkring, seconde mouture, en 1915 –
mais dont la vraie vocation était littéraire : il était
conférencier, spécialiste de Baudelaire, collaborait au Handelsblad et
se fit par la suite un nom dans la poésie. Il se chargeait de
surveiller pour Kickert les quelques intérêts que ce dernier avait
conservés aux Pays-Bas, et surtout de gérer ses dettes. Le notaire qui
avait placé les hypothèques sur le Prinsengracht et sur la ferme de
Geerteheem était un cousin de Keuls et d’un caractère plutôt
compréhensif heureusement, car Geerteheem n’était toujours pas vendu.
Cependant, en ce qui concernait une aide financière et personnelle,
Keuls, chargé d’une famille déjà nombreuse, en était bien incapable et
ne pourra que répondre négativement5, avec ce triste encouragement
"j’espère qu’entre-temps tu as pu t’en sortir".
L’année 1921 se terminait donc, de ce point de vue, assez mal. Les
collègues ne semblaient pas mieux lotis. Tous essayaient de surmonter
leurs difficultés par la dérision.
(1) : Outd-Hollandsche Olieverwen Makerij.
(2) : Guichardaz, 12 rue Campagne-Première (Paris XIV°) ; Castelucho, rue de la Grande-Chaumière (Paris VI°).
(3) : Le calcul est aléatoire, les archives incomplètes sur ce sujet (archives Gard-Kickert).
(4) : Lettre de Marcel Gromaire à CK
du 25 août 1922 : "Moi j'emploie avec plaisir les couleurs de
Hollande, toujours excellentes" (archives Gard-Kickert) et souvenirs de
Chris de Moor (op. cit.).
(5) : Lettre de H. Keuls à CK du 9 décembre 1921 (archives Gard-Kickert).