VI - Talent reconnu > Séjour à Florac
Suivant immédiatement cette exposition, La Haye en présentait une autre
consacrée à l’art français contemporain. Le bourgmestre S.J.R. de
Monchy présida l’inauguration. Un tri sévère des participants avait été
fait et l’origine des œuvres s’était étendue bien au-delà de la
Donation Conrad-Kickert. La galerie Bernheim avait prêté des œuvres
(Bonnard, Derain, Vuillard), comme la galerie de l’Elysée (Vlaminck),
de même que le musée du Luxembourg (Matisse, Segonzac) et que des
collectionneurs comme Desjardins en France (Gromaire), Wildenstein aux
Etats-Unis (Picasso), von Saher aux Pays-Bas (deux Braque et six
Picasso). Le musée de La Haye avait fourni deux grands paysages de
Kickert auxquels ce dernier avait ajouté un nu "le Lever" (1).
Enfin des artistes avaient prêté directement de leurs œuvres, tels
Alix, Brianchon, Chagall, van Dongen, Dufresne, Friesz, Goerg, Lhote,
Marquet, Osterlind, Rouault, Utrillo et Waroquier. A côté des
vingt-neuf peintres exposés, le musée présentait une quarantaine de
statues, œuvres de quatorze sculpteurs dont Despiau qui avait éternisé
le sourire charmant de Mme Pomaret, Maillol avec cinq bronzes dont deux
nus de grandeur nature, et Wlérick qui manifestait sa puissance dans un
torse de jeune femme.
Concernant les mois qui précédèrent le décès de Gée et ceux qui le
suivirent, on ne trouve aucun élément d’ordre artistique dans la vie de
Conrad. Sa biographie présente un blanc qui, à lui tout seul, rend
compte de l’angoisse, puis du désarroi qui ont encadré l’événement. Ce
n’est que dans sa lettre aux Ouendag du 31 octobre 1936 que Kickert
indique : "Mon instinct de création est revenu. Mon énergie reprend des
forces. Je vais faire des portraits... des paysages importants, des
natures mortes...". Finalement, sa production de l’année (vingt-sept
œuvres répertoriées), reste au niveau d’étiage des années 1935 et 1937.
Ce que représentait pour lui le travail ne s’analyse pas comme on peut
le faire s’agissant des autres métiers. Il vaut mieux d’ailleurs
reprendre le vieux nom d’état pour qualifier celui d’artiste, un mot
qui n’oppose pas l’activité au loisir, ni le travail au repos. Une
lettre de Segonzac (2) à
Kickert, non datée, mais que le texte permet de situer en 1936, fera
mieux comprendre la disposition d’esprit dans laquelle Conrad a vécu
cette tragique période. Il avait envoyé un mot de sympathie à Segonzac
qui venait de perdre un proche et celui-ci répondit sur son papier de
deuil : "Mon bien cher Conrad, j’ai été profondément sensible à
votre lettre si affectueuse et qui m’a touché. Vous avez vous-même
traversé des jours bien douloureux. Je pense souvent à Elle (3),
si charmante et d’une bonté rayonnante. Travaillez bien, c’est la seule
consolation de ceux qui comme vous sont nés peintres et vivent pour
leur Art. Je vous embrasse de tout mon cœur. Segonzac".
Au mois d’août, se posa le problème de conduire la jeune Titanne (4)
au bon air et Conrad le résolut de la même façon que l’année
précédente, grâce aux mêmes concours amicaux. Il profita du déplacement
pour faire, aux environs de Florac et du Pont du Tarn, quelques toiles
du fleuve et des robustes constructions qui le bordent ou l’enjambent.
En novembre, il envoya des toiles à Montpellier où la galerie Cournut
présenta une exposition consacrée à Bersier, Kickert et Osterlind. La
presse locale incita vivement la population à aller voir des œuvres
"dignes de prendre place dans les plus grands musées d’Europe, à
commencer par le nôtre" (5) et
encouragea la commission d’achats pour le musée Fabre, à continuer ce
qu’elle avait déjà commencé en faisant entrer dans ses
collections : Friesz, Céria et Le Fauconnier (6).
Mais la municipalité, faute de crédits, ne put réaliser ce beau
programme. Heureusement, Conrad avait été secouru par les Ouendag qui
lui offrirent huit cents florins (7),
grâce auxquels, leur écrivit-il, il put, entre autres dettes, régler
son loyer, un arriéré d’un trimestre du lycée pour Titanne et
"l’enterrement de Gée, sans avoir le scandale de l’huissier".
(1) : "Le Lever" 1921 (112 x 95 cm)
Opus A.21-15, Musée de la ville de Paris (cf. année 1921
p. 129 ; année 1924 p. 190).
(2) : Archives Gard-Kickert.
(3) : Cette majuscule pour le
pronom Elle, qui est de la main de Segonzac, montre avec quelle
délicatesse envers Conrad il évoque Gée.
(4) : Les jouets de Titanne : "l'Arche de Noë" 1936 (92 x 73 cm) Opus 36-05
(5) : Le Petit Méridional du 14 novembre.
(6) : C. Descossy in l’Eclair du 8 novembre.
(7) : Soit environ 5.000 €.