VI - Talent reconnu > Saint-Jean-Cap-Ferrat
Conrad réapparut aussi à l’automne à Pittsburg où il avait envoyé une seule toile, "la Falaise" (1). Un titre qui, pas plus qu’en anglais ("the Cliff"),
ne rendait compte de ces formidables rochers que Kickert avait admirés
au bord de la mer à l’île d’Yeu, durant l’été de 1933. Titre doublement
infidèle même, puisque la présence de trois baigneuses n’y était pas
évoquée (2). On aura reconnu
la toile exposée l’année précédente au salon d'Automne, et c’est elle,
en effet, que Kickert présentait ici, du 18 octobre au 9 décembre.
Cette toile revint des Etats-Unis et fut vendue ultérieurement en
France.
Kickert eut l’occasion de séjourner au bord de la Méditerranée en été,
et en Haute-Savoie à la fin de l’année. Il avait été invité avec sa
famille à retrouver en août le Matouba,
la belle villa des Bersier à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Comme en 1931, il
peignit des vues nombreuses de la côte, sur Beaulieu, le cap d’Ail,
Saint-Hospice, etc. à partir desquelles il réalisa, en atelier, de
grandes toiles. Il laissa sur place, en hommage à la femme de
Jean-Eugène Bersier, une "Vue du cap d’Ail, du haut du cap Ferrat" (3) et, pour le père de ce dernier, douze dessins aquarellés (4)
qui représentent leur villa, l’atelier où Conrad avait pu travailler,
la terrasse, la treille et des scènes de la vie quotidienne.
Aux environs de Noël, sous la pression conjuguée et dans la compagnie
amicale de Gromaire, Goerg et Picart-Le Doux, Conrad fut emmené à Châtel (5). Ils descendirent là-bas à l’hôtel Fleur des neiges (6).
Kickert, comme probablement les autres, travailla d’arrache-pied et
réussit si bien ses paysages de neige que deux d’entre eux lui furent
réclamés ensuite et qu’il dut en faire des répliques de grande taille.
Indépendamment du travail, des expositions et des voyages, deux
événements marquèrent en cette année la vie de Kickert. Le premier en
date et le moindre en importance pour lui, fut sa nomination au grade
de chevalier de la Légion d’honneur, dans l’abondante promotion du 14
juillet. Les artistes de Montparnasse intéressaient l’Etat à ce
moment-là, semble-t-il, puisque pour la même rue Boissonade, Kickert
avait été précédé au printemps par Picart-Le Doux (7). Ses amis lui écrivirent des lettres cordiales ou émues (8). Beaux-Arts du 10 août publia un chaleureux article de Maurice-Pierre Boyé, et le Haarlems Dagblad
du 18, un papier très amical de J.H. de Bois. Les choses en restèrent
là momentanément, le banquet traditionnel repoussé à l’année suivante,
en raison de ce qui frappa Gée en septembre, à son retour de
Saint-Jean-Cap-Ferrat. Une rechute, on ne disait pas encore une
métastase, entraîna une nouvelle opération. Elle s’en remit, mais
Conrad comme elle-même, surent dès lors qu’elle était engagée dans une
lutte inégale avec un adversaire aussi implacable que déroutant.
(1) : Cf. supra, année 1933, p. 312, note 11, et le texte auquel elle se réfère.
(2) : Au dos d’une photo, ce tableau est intitulé par CK : "Bain de soleil".
(3) : "La Vue du cap d'Ail" 1934 Opus A.34-27.
(4) : "Le Matouba"
Opus D.34-08 à D.34-19 (23 x 31 cm), donnés par Jean-Eugène
Bersier, peu avant sa mort, au petit-fils de CK.
(5) : Commune de
Haute-Savoie, à 1.235 mètres d’altitude, à une quarantaine de
kilomètres au sud d’Evian et de Montreux, en bordure de la frontière
suisse ; guère plus loin de Morzine où CK s’était rendu en décembre
1928.
(6) : Toujours ouvert à
l’aube du XXIème siècle, sans que ses clients de 1934 aient pu aider à
sa réputation, faute pour eux d’une célébrité suffisante.
(7) : C’est d’ailleurs CK qui avait organisé le dîner qui réunit les amis du nouveau légionnaire à la Coupole, le 8 juin.
(8) : Notamment Gromaire et Lecaron.