VI - Talent reconnu > "La Belle Fermière" fait parler d'elle
"La Belle Fermière" qui avait
reçu tant d’hommages au salon d'Automne de 1922 revint trois fois en
six mois se rappeler au souvenir de ses admirateurs. Elle était, entre
temps, entrée au musée du Luxembourg, à la mort du comte Philipon.
Lorsque l’Etat eut décidé de scinder sa collection d’art moderne en
école française et écoles étrangères, les œuvres de ces dernières
avaient été transférées au Jeu de paume. Mais elles n’y restèrent pas
toutes exposées. En janvier, cent cinquante d’entre elles furent
expédiées dans les réserves. La nouvelle présentation des salles donna
l’occasion à la critique de signaler la présence en bonne place (1)
du nu de Conrad. En avril, nouveau déménagement des toiles, pour
permettre l'exposition Hollandaise, extraite du fonds du musée. L'œuvre (2) signala "le puissant Conrad Kickert" ; le Telegraaf (3) "l’excellent Nu dans un paysage", les deux journaux rappelant que Kickert travaillait à Paris. Le Mercure de France (4)
se distingua en évoquant sa nature morte "sobre et accentuée" ; il
s’agissait du "Pot chinois". Enfin, au début de juillet, le musée
présenta un choix d’œuvres, au grand bonheur de ceux qui avaient jugé
en janvier que trop de médiocres – "un bon tiers", avait tranché Paris-Midi – avaient survécu à l’écrémage. Vauxcelles (5) loua "un savoureux Conrad", ce dernier étant aussi cité par Roger-Marx (6).
Entre-temps, le salon des Indépendants, ouvert le 19 février, avait
commémoré ses trente années d’existence par une rétrospective où les
membres fidèles pouvaient montrer plusieurs œuvres anciennes. C’est ce
que fit Conrad qui remonta jusqu’en 1913, en exposant une nature morte (7) et à 1918 en présentant sa "Dormeuse" (8). Celle-ci fut qualifiée "d’excellent morceau" (9) et, une fois encore, un critique nota "Conrad a de la puissance" (10).
Mais devant l’avalanche d’œuvres il n’était pas question de s’attarder
à les analyser et presque tous ceux qui rendirent compte de cette
exposition se contentèrent de dévider des listes de noms, par salle ou
par genre, dans lesquelles ils faisaient figurer les peintres qu’ils
avaient eu l’occasion de signaler dans le passé. Kickert fut ainsi cité
une douzaine de fois sous des plumes faisant autorité.
Au salon des Tuileries, Kickert fit partie de la commission de
placement. Responsabilité dont il s’acquitta avec impartialité et
doigté. Au déjeuner réunissant les placeurs avant le vernissage du 21
mai, il prit la parole. André Warnod (11)
en rendit compte comme suit : "Il y eut des toasts et des
allocutions. Conrad Kickert rendit hommage à ceux, dit-il, qu’on
appelle vieux parce qu’ils ont la barbe blanche mais qui en réalité
sont plus jeunes que nous. Aussi vit-on régner l’union la plus parfaite
dans une assemblée de peintres. Ce n’est pas tous les jours que cela
arrive". Les six œuvres exposées par Conrad, dont au moins quatre
natures mortes et un paysage, retinrent l’attention de vingt-six
critiques d’art dont la plupart fournirent un commentaire. Un intérêt,
aussi généralement partagé, provient sans doute de la prépondérance
donnée par Kickert, dans son envoi, aux natures mortes, genre dans
lequel il recueillait habituellement le plus d’éloges. En effet, à
l’exception de deux (12), tous les critiques consacrèrent leurs appréciations aux natures mortes. Appréciations presque toujours favorables (13) et parfois admiratives comme sous la plume de Thiébault-Sisson (14)
: "Je me contenterai de signaler parmi les natures mortes, les solides
morceaux enlevés dans une superbe matière par Kickert" ; ou sous
celle de Tabarant (15) pour
qui les mêmes toiles "sont une maçonnerie de belle et fluide pâte
révélant splendidement l’âme des choses" ; ou enfin celle d’Edouard
Sarradin (16) : "Il faudrait
parler des peintres de natures mortes au premier rang desquels se
distingue M. Conrad Kickert, avec ces tonalités sobres, choisies,
intelligemment ordonnées et cette belle substance qu’il manie d’un
faire si savant et si franc à la fois". Cet enthousiasme fut-il
communicatif ? On verra plus loin ce qu’il en fut, au moins pour
un amateur de renom.
(1) : La Liberté (Chavance) du 11
janvier 1926 ; Paris-Midi du 12 janvier ; l'Intransigeant (M. Raynal)
du 27 janvier ; l'Echo de Paris (J.L. Vaudoyer) du 28 janvier ; le
Mercure de France (A. Marguillier) du 1er février. Les anciens étaient
groupés par nationalité tandis que les jeunes, dont CK, étaient réunis
dans une petite salle à part.
(2) : Article de Tabarant sous le pseudonyme de l'Imagier (non daté).
(3) : Du correspondant particulier de ce journal néerlandais, numéro du 25 avril 1926.
(4) : Sous la signature de Gustave Kahn.
(5) : In l'Excelsior du 1er juillet 1926.
(6) : In l'Humanité du 5 juillet 1926.
(7) : "Nature morte au vase bleu" 1913 (33 x 55 cm) Opus 13-04.
(8) : "La Dormeuse" 1918 (115 x 155 cm) Opus A.18-12, musée de Belfort.
(9) : Par Charles Fegdal in la Revue des beaux-arts du 1er avril 1926.
(10) : Martin in Paris-Soir du 20 février 1926.
(11) : In Comœdia du 22 mai 1926.
(12) : D. Montsour in l'Humanité et Kunstler in Plaisir de vivre qui vantèrent le paysage.
(13) : Signalons quelques réserves :
- de Jean-Louis Vaudoyer in le Crapouillot de juin qui évoque les
natures mortes "dont la crépitante virtuosité donne envie d'éteindre
quelques lampes comme dans une pièce trop éclairée" ;
- de S.J. qui dans le 7ème Jour a vu le peintre "plus solide" en d'autres occasions ;
- de Robert Guillou in la Victoire du 10 juin qui restreint son approbation à la seule nature morte placée en cimaise ;
- de Vanderpyl in le Petit Parisien du 21 mai remarquant "Conrad
Kickert qui, trop peut-être, soumet son inspiration à un savoir sans
faiblesse".
(14) : Le Temps du 30 mai 1926.
(15) : Sous le pseudonyme de l'Imagier, in l'œuvre du 24 mai 1926.
(16) : In le Journal des débats du 4 juin 1926.