X - L'après-guerre > Visite du conservateur du Musée d'art moderne de Paris
La grande affaire de l’année fut la visite rendue à Kickert, rue
Boissonade, le 21 mars, par Jean Cassou, le conservateur en chef du
Musée national d’art moderne, une autorité en matière de peinture, qui
avait pris l’initiative de la visite. Il demanda à voir toute la
production récente du peintre. Il manifesta intérêt et souvent
admiration. Il ne cacha pas qu’il jugeait regrettable que Kickert soit
insuffisamment représenté dans les collections de son musée et qu’il
espérait y remédier. Il désigna cinq œuvres dans ce but (1).
Dans l’esprit de Jean Cassou, il s’agissait d’un choix préalable à
partir duquel une sélection plus serrée devrait être faite. Mais
Conrad, aux anges, ne douta pas que la force de son talent, enfin
reconnue, lui vaudrait un panneau entier avenue du Président-Wilson (2).
Il inscrivit une mention "R.M.", signifiant "réservé musée" au dos des
cinq œuvres. Lorsqu’il montrait l’une ou l’autre le mercredi soir, il
annonçait leur prochaine destination. Durant ce temps, le projet Cassou
était passé au crible par le seul service qualifié pour les achats
d’œuvres d’art, la direction générale des arts et des lettres, qui
envoya chez Kickert Madame Lamy, inspecteur principal des beaux-arts.
Celle-ci retint seulement le "Cactus". Le chef du bureau des travaux d’art (sic) demanda à Kickert (3)
de fixer le prix auquel il accepterait de céder cette œuvre, en tenant
compte de l’extrême modicité de leurs crédits. Conrad indiqua un
montant de 50. 000 francs, espérant répondre ainsi à leur désir de
rester dans la limite de leurs possibilités. C’était encore trop pour
l’Etat comme le lui fit savoir (4)
la direction des arts et des lettres, en indiquant qu’elle ne pouvait
pas dépasser 35.000 francs pour cet achat. Kickert ne voulut pas donner
son accord. Son dépit et même son amertume venaient en vérité du rejet
de toutes ses autres œuvres, du refus de ce vaste panneau dont il avait
rêvé, qui devait montrer la richesse de son art et qui se réduisait
tout à coup à un seul tableau. Il y avait tellement cru qu’il se
sentait humilié comme si le musée l’avait jeté soudain à la rue.
Cette déconvenue n’entama en rien pourtant sa volonté de continuer son
œuvre. A la veille des ses soixante-dix ans, il gardait au service de
son idéal l’enthousiasme de la trentaine. Et cela dura encore pendant
quatorze ans. L’événement, c’est cela, et il faut l’étudier dans ses
divers aspects, même s’il est inutile de suivre une chronologie
annuelle. Les chapitres suivants évoqueront successivement :
- les envois aux salons, dès lors son seul contact avec le public,
- sa vie sociale : les collègues, les élèves, les amis, les amateurs de ses œuvres tant en France qu’aux Pays-Bas,
- un survol du travail de ces quatorze années.
(1) : Les cinq œuvres en question
qui auraient rejoint "la Belle Fermière" en possession du musée depuis
1925, étaient "Eve de Montparnasse" (Opus 47-08), "la Porte du
Lion" (Opus 43-11), un autoportrait (Opus 51-03),
"l’Inconnue" (Opus 46-16) et aussi "Cactus" (Opus 42-04) qui
appartient aujourd’hui au musée des Années trente
(Boulogne-Billancourt).
(2) : Le musée fut ensuite transporté au centre Georges-Pompidou, rue Beaubourg.
(3) : Par lettre du 26 mai 1951.
(4) : Par lettre du 10 juillet 1951.