XI - Synthèses
> Survol de l'œuvre II
De mai 1945 à fin 1951
(période correspondant au chapitre X -dont nous exclurons l’année 1949)
Le second semestre de 1945 permet à Conrad de se réinstaller rue
Boissonade après cinq ans d’absence. Il fait quelques nus et natures
mortes. Il tente de garder son appétit de peindre alors que tout,
autour de lui, contribue à dépayser ce revenant. Il parvient mal à
s’adapter, mais le veut-il vraiment ? En dehors de l’évolution et
même du changement, considérés comme des dogmes, l’art contemporain n’a
pas de doctrine à enseigner, ni de modèles à proposer. C’est donc
l’esprit tranquille que Kickert poursuit son travail selon les
principes qu’après de longues méditations, il a fait siens. Il n’a pas
d’hésitation, pas de doutes. Mais il se sent très seul, ce qui retentit
sur son ardeur. Sa production se situe entre 30 et 46 œuvres par an.
Elle descendra à 21 en 1952. Heureusement son intransigeance vis-à-vis
de lui-même et de son travail, lui permet de réaliser quelques-uns de
ses plus beaux tableaux, des compositions à plusieurs personnages, sans
qu’il faille oublier que deux amis et quatre de ses élèves en qui il
mettait de l’espoir, y ont contribué -tout simplement en posant. Cela
suffit sans doute à recréer pour Conrad l’ambiance qu’il jugeait
favorable : un maître qui explique et travaille en même temps, un
auditoire silencieux qui écoute et en tire profit, même le modèle nu.
Voici pourquoi "le
Metteur en scène"
(1) et "
l'Hommage à la femme"
(2) apportent quelque chose qui les préserve d’être "grande tartine" ou "la toile de salon".
De 1954 à 1958
(période que l’on trouve au chapitre XI, mais traitée ici d’un point de vue plus restreint)
L’épisode de la brouille de Conrad avec sa fille durant les années 1952
et 1953 se terminant, les relations antérieures reprirent comme si
elles n’avaient jamais cessé. On peut y voir la première cause d’un
retour de Conrad à l’optimisme et à l’ardeur de peindre. Le second
élément favorable vint, comme cela arriva dans le passé, des nombreux
séjours qu’il put faire hors de Paris entre 1954 et 1958. Dès 1950,
Kickert avait été invité chez le Docteur Bouguen (un élève "senior"),
en Bretagne, où il avait séjourné fructueusement ; il y retourna
six fois en huit ans, y rencontrant des personnages intéressants et
travaillant assidûment. En 1958, une autre élève, de celles que l’on
appelait familièrement "les duchesses", lui permit de retrouver le
Cantal et de redécouvrir Granville, Conrad partagea donc cet été-là
entre les côtes d’Armor, la Manche et le Cantal, un bel exercice pour
celui qui aime exprimer le caractère propre à chaque lumière locale.
Une autre élève le reçut à Hossegor en 1954 et 1955, puis en
1957 ; c’est en 1955 qu’il y peignit "
l’Océan vert"
(3)
. Enfin une autre élève l’invita en 1956 dans la vallée de la
Loire où elle possédait une vieille maison dont les "communs" n’étaient
autres que les restes d’une abbaye ; chez elle, Conrad donna six
vues différentes de porches vénérables. Le résultat de tous ces étés
laborieux, en y ajoutant ici ou là une réplique d’atelier, donna en
cinq ans, 63 paysages et 68 marines. Mais le travail d’atelier fournit
dans le même temps, un contingent considérable de 102 natures mortes.
En y ajoutant 39 portraits et 10 nus, le total d’œuvres peintes durant
ces cinq années monte à 282, soit une moyenne de 56 tableaux par an, un
résultat qui rejoint celui des fructueuses années des Charentes et de
l’Auvergne. Une sorte de résurrection.
De 1959 à la mort de Kickert
Malheureusement, cette résurrection fut temporaire. Le Docteur Bouguen
étant décédé, il perdit en partie le réconfort que lui apportaient
l’homme et le groupe qui l’entourait. Un autre ami résidant plus à
l’ouest de la côte bretonne, à Locquirec, s’essaya à lui faire oublier
Loguivy, et n’y parvint pas malgré ses louables efforts. Peut-être
Kickert commençait-il à ressentir les effets de l’âge ? On
admirera quand même que de sa soixante-dix-septième à sa
quatre-vingt-deuxième années, il ait exécuté 183 œuvres, c’est-à-dire
trente par an et qu’il ait eu la coquetterie en 1963, comme il était
juste octogénaire, d’en peindre une quarantaine, dont sept dans le
format 33 x 41 enlevées d’après nature dans la campagne d’Eygalières.
(1) : "Le Metteur en scène" 1946 (97 x 130 cm) Opus 46-12.
(2) : "L'Hommage à la femme" 1946 (162 x 130 cm) Opus 46-14.
(3) : "L'Océan vert -
Hossegor" 1955 (45 x 56 cm) Opus 55-11, dénomination donnée
spontanément par nombre d’amateurs à cette œuvre où la plage est
réduite à une mince bande de sable plat que viennent battre les vagues
en larges rouleaux qui se succèdent depuis le grand large, sous un ciel
à la fois nuageux et clair.