XI - Synthèses > Bessie Davidson
L’évocation de l’entourage de Kickert doit mettre l’accent sur la
personnalité de Bessie Davidson, qui y occupa une place très importante
à de nombreux titres (1). Elle habitait un atelier au 18 rue Boissonade (2)
lorsque Conrad s’installa dans le même immeuble en 1924. Elle y mourut
en février 1965, quatre mois avant que Conrad ne décède au 33 de la
même rue. Peintre remarquable, elle exposa régulièrement au salon des
Tuileries et à celui des Femmes peintres dont elle fut la
vice-présidente. Bénéficiant d’une belle aisance financière, elle
approfondit son art selon une inspiration moderne mais résolument
figurative, sans se soucier d’un succès commercial.
Conrad, en plus de l’affection née de leur vieille et constante amitié,
avait pour elle de l’estime et même de l’admiration à cause de la
solidité et de la puissance de ses œuvres. Comparant son travail à
celui d’un de ses voisins jouissant d’une belle notoriété, il concluait
qu’elle était "le seul homme" dans ce quartier. La minuscule et fragile
Bessie comprenait le sens de cet hommage dont elle se prévalait en
riant. Issue d’un clan prestigieux dont elle portait le nom et les
couleurs, elle avait peint à l’âge mûr quelques paysages de son Ecosse
familiale, mais avait représenté surtout les prairies de Normandie et
les montagnes de Savoie, et tiré des résidences qu’elle avait occupées
dans ces régions, des vues d’intérieurs et des natures mortes. Son père
ayant pris une situation en Australie, elle naquit à Perth en 1880,
étudia le dessin et la peinture là-bas, commença à y exposer et à
peindre sur place de nombreux portraits. C’est par ces œuvres-ci
qu’elle acquit la notoriété sur le cinquième continent et -grâce aux
Australiens dont le goût s’est élargi à ses œuvres françaises – qu’elle
bénéficie aujourd’hui d’une cote élevée (3).
Les rapports de Conrad avec sa famille ont été évoqués au fil des
années. Bien qu’ils constituent dans la vie sociale une catégorie à
part, nous en relaterons ici quelques traits.
Au début de 1952 se situe ce qu’il faut bien appeler une brouille entre
Conrad et sa fille Anne. Le gendre de Conrad, après quinze mois de
travail dans une société établie à Casablanca, revint en métropole avec
sa femme et sa petite fille âgée de deux ans. Le jeune ménage dut
trouver un logement, ce qui à l’époque n’était possible qu’à condition
d’en acquérir un. Anne supposa que son père accepterait de les aider,
ce qui évidemment aurait exigé de Conrad de se séparer de quelques
éléments de sa collection personnelle. Elle avait mal mesuré quel
sacrifice elle lui demandait ainsi et ignorait en outre les difficultés
inhérentes à l’estimation et à la cession de ces œuvres. Elle évaluait
celles-ci sur la base de l’admiration que son père leur vouait, ce qui
hélas ! n’avait rien à voir avec le prix du marché. De son côté,
Kickert fut outré qu’on put songer à réunir de l’argent à partir de ses
œuvres d’art, pour financer une chose aussi banale et pratique qu’un
logement. Il eut le tort de s’en plaindre à sa fille dans une lettre
furibonde et quelque peu méprisante qui entraîna la rupture de leurs
relations. La crise dura deux ans. A la naissance de son deuxième
enfant, Anne reçut une visite de son père à la maternité comme s’il n’y
avait jamais eu de querelle entre eux. Au cours des années soixante,
Kickert profita souvent du soutien financier de son gendre qui lui
épargna les affres d’un retard de loyer et d’une menace d’expulsion,
sans qu’il ait eu besoin de solliciter son concours. Conrad appréciait
beaucoup de voir ses petits-enfants, sans mesurer les efforts que
demandaient à sa fille leur présentation impeccable et leur
comportement sans faute au long d’une visite où leur affection devait
rester teintée d’un cérémonieux respect. Conrad a toujours pensé que
cette conduite était naturelle chez ses descendants. D’autant mieux que
leur sang n’avait pas été altéré par celui de son gendre dont il
appréciait l’origine aristocratique du côté maternel. Passant une
partie de l’été qui suivit le mariage de sa fille, chez la marquise de
B., il y rencontra une invitée de celle-ci qui se souvint d’avoir été
reçue chez la grand-mère de ce gendre. Kickert signalant ce fait dans
une lettre à Anne, se délectait à conclure : ".... le monde – le
nôtre – est décidément bien petit".
On pardonnera ces fatuités à Kickert en considération de la rigueur
qu'il s'imposa pour créer un œuvre si parfaitement épuré de soucis de
mode, de succès ou de rentabilité. C'est cet œuvre qu'il convient
maintenant d'évoquer à tire d'aile.
(1) : Cf. supra, année 1948, p. 463.
(2) : Aujourd’hui le n° 40 de la rue (cf. supra, année 1924, p. 187, note n° 15).
(3) : Dans les ventes aux
enchères, non seulement en Australie, mais aussi en France où ses
compatriotes se disputent ses œuvres. C’est ainsi que sont parties en
Australie : "Petite Fille au perroquet", adjugée 910.000 F, soit
138.728 € à Drouot-Montaigne en 1997 et, "la Jeune Femme au livre
vert", 620.000 F soit 94.520 €, à l’Hôtel Drouot en 1999.