XI - Synthèses > Les amateurs de l’œuvre
Kickert n’ayant pas signé de contrats avec des marchands (à l’exception
des accords avec van Deene ou avec Barbazanges, non exclusifs,
temporaires, révocables et vite révoqués) n’avait pas non plus
constitué une clientèle, au sens commercial du mot. Pour définir les
personnes qui achetèrent ses œuvres, le terme qui convient le mieux est
donc celui d’amateurs, qui s’applique à ceux qui n’en acquirent qu’une
ou deux, mais aussi bien à ceux qui en réunirent toute une collection.
Tous suivirent leur inspiration ou leur goût sans jamais se soucier de
la valeur marchande de leur acquisition. Cependant ils ne regrettèrent
pas leurs initiatives. Deux faits le montrent : quarante ans après
la mort de Kickert aucun marchand n’a eu l’occasion de réunir un stock
appréciable de ses œuvres ; d’autre part, les rares tableaux
proposés en vente publique proviennent généralement d’une succession.
Cette fidélité aux œuvres acquises vient de l’estime que les
collectionneurs portaient à Kickert, au peintre et souvent à l’homme.
En dehors de ce trait commun, il est difficile de caractériser ces
amateurs par un profil, de les rattacher à un type propre. Ils
diffèrent déjà par la nationalité. En se limitant aux collections
comportant quatre œuvres ou davantage, on recense quarante-cinq
collectionneurs se partageant 349 tableaux, des peintures à l’huile,
car les dessins ne sont pas inclus ici. Vingt-neuf sont français et
possèdent au total 222 œuvres ; treize sont des Néerlandais ayant
acquis 113 tableaux ; trois autres étrangers en rajoutent 14 à ce
total. Douze collectionneurs sur ces quarante-cinq possèdent seulement
4 œuvres ; huit en ont acquis 5, quatorze en ont réuni de 6 à
9 ; dix entre 10 et 20 ; deux, plus passionnés encore, en ont
accumulé l’un 24, l’autre 22. Le premier est un Hollandais, vieil ami
de Conrad, qui de 1926 à 1959 acheta, au rythme moyen d’un tableau tous
les dix-huit mois, autant de paysages ou de marines que de natures
mortes. Il voulut aussi que Kickert, en 1935, peignit le portrait de
son épouse et vingt-quatre ans plus tard, compléta sa collection par un
autoportrait du maître ! Le second, collectionneur plus insatiable
encore, a été évoqué ci-dessus (1).
Il est, parmi les acheteurs de Kickert, un cas à part. Il n’acquit
jamais d’œuvres d’un autre peintre et c’est en quelques jours qu’il
choisit dans l’atelier de la rue Boissonade des tableaux relevant de
tous les genres : le nu, le portrait, le paysage et la nature
morte, peints entre 1934 et 1946 et de dimensions variées, allant de
55 x 46 cm jusqu’à 146 x 114 cm, pour
décorer en tableaux un château de douze pièces. Quand la succession du
collectionneur s’ouvrit, ledit château fut vendu, mais aujourd’hui les
deux tiers de ses tableaux demeurent encore en possession de ses
descendants.
D’autres collections ont été rapidement constituées sous l’Occupation
au long de laquelle Kickert a travaillé en Charente et dans le Cantal,
où il devait vivre de sa peinture grâce à des amateurs nouveaux. Cela
fut facile du fait que la difficulté des transports et l’austérité des
temps favorisèrent plus les besoins culturels que ceux du
divertissement. De même que la lecture se développa comme jamais
auparavant, la peinture intéressa un milieu qui ne s’en était jamais
soucié. La sympathie que Kickert éprouvait envers les lieux et les gens
fit le reste. Il devint de bon ton de le connaître, de l’inviter, de
s’intéresser à son art et d’acheter ses œuvres. Cet engouement se porta
surtout, dans le Cantal, sur les paysages de la vallée de la Cère, et
ensuite sur les natures mortes. Après une fréquentation plus poussée du
maître, il parut à beaucoup essentiel de lui demander un portrait et
pour quelques aventureux, un nu. Ainsi se constituèrent dans cette
courte période, cinq collections comprenant quatre à onze œuvres. Mais
Kickert a laissé dans le Cantal, beaucoup de tableaux isolés, notamment
des portraits.
L’association des "Amis de Conrad" dont l’activité que la guerre
interrompit prématurément, a tout de même permis à treize membres
d'acquérir chacun 3 tableaux de Kickert et à deux autres beaucoup plus,
œuvres datées de 1938 et 1939, ce qui est assez naturel dans le cadre
de cette association.
(1) : Cf. supra, année 1946, p. 444.