II - Cercle de l'art moderne > Le Fauconnier
Pour Kickert, l’art doit répondre au sentiment profond du public dans
la ligne de sa propre culture laquelle doit privilégier ce qu’elle a
reçu de l’Europe du Nord. Il en retranche de ce fait, comme
foncièrement étranger, l’art des antiquités grecques et romaines et
refoule l’apport de la Renaissance italienne. Les sources naturelles et
saines se trouvent pour lui dans l’art franc, l’art gothique, dont il
vante l’unité faite d’une incroyable pluralité (1).
Il présente le Cubisme comme le seul héritier digne de cet art-là. Il
lui reconnaît une fidélité à la bonne tradition et même la mission de
restaurer celle-ci.
Le second texte comporte huit pages, dans le petit format du catalogue
il est vrai. Il est signé Le Fauconnier et s’intitule "la Sensibilité
moderne et le tableau". Il a été rédigé en français et c’est dans cette
langue que le catalogue le publie. L’obstacle pour les lecteurs ne
vient pas de là, car le français était une langue connue de tous les
gens instruits et, mieux encore, parlée par les personnes cultivées.
Malheureusement, ces personnes n’ont pu que ressentir le ton maniéré de
l’exposé, d’autant plus fâcheux que celui-ci n’atteint pas l’objectif
ambitieux que son titre désignait. Il contient plus d’affirmations
sentencieuses que de notations convaincantes et de faits explicites. Il
a été cependant bien accueilli et fréquemment cité. A la suite de ce
texte, le catalogue consacre les numéros 32 à 64 aux titres des
trente-trois œuvres de Le Fauconnier présentées à l’exposition, les
tableaux eux-mêmes occupaient la plus grande salle du musée, dans toute
sa longueur. C’est le lot le plus copieux qu’on y rencontre et il est
illustré par trois reproductions au catalogue. Quatre de ces œuvres
sont signalées comme étant la propriété d’amateurs assez
prestigieux : le poète Paul Castiaux, le substitut Granié, Conrad
Kickert, Mlle J.M. van Poortvliet ; et une cinquième comme appartenant
au musée de Hagen. Tous éléments qui confirment l’importance accordée à
cet exposant, comme le fait qu’il prenne place juste après les deux
invités d’honneur et avant tous les autres artistes qui n’apparaissent
qu’ensuite au catalogue.
Ils sont rangés alphabétiquement depuis Alma jusqu’à van Zeegen,
enjambant dans l’ordre Braque, Derain, van Dongen, Gestel, Mondrian,
Picasso , Sluyters et Vlaminck, pour ne citer que quelques uns des peintres ayant déjà participé à l’exposition du MKK de
1911. En effet, Kickert avait obtenu leur confiance une fois de plus,
sans pour cela limiter sa recherche de talents ignorés ou confirmés,
puisque parmi seize nouveaux invités, échelonnés entre Archipenko
(sculpteur) et le peintre Schmidt-Rottluff, on rencontre au passage
Gleizes, Léger, Metzinger, trois mousquetaires du Cubisme, sans compter
Marie Laurencin.
Le prestige du MKK se trouva
confirmé au vernissage de l’exposition par la présence de personnalités
officielles. Le bourgmestre d’Amsterdam, M. Roëll, accompagné de son
épouse, fut conduit devant les œuvres par M. Baard, le conservateur du Suasso et par Conrad Kickert (2).
Pour la première fois, Conrad exposait une toile, tout à fait cubiste,
montrant trois hommes nus, contorsionnés comme des suppliciés, dans un
entassement de rochers (3). Pour le journal Van Onze Tijd, Maria Viola signala "les mannequins tristes et hideux de Conrad Kickert",
un jugement sans appel, assez justifié. Elle se montra en revanche
intéressée par Toorop aux œuvres duquel (dix-sept étaient exposées)
elle consacra les deux tiers de son article. N.H. Wolf consacra à cette
exposition trois numéros successifs de la revue de Kunst
(4). Il examina toutes les œuvres et les commenta. Il ressort de ses
articles qu’avec la meilleure volonté du monde, s’il donne son adhésion
aux recherches de Le Fauconnier, Schelfhout, Kickert ou Alma, il récuse
absolument celles de Braque et Léger comme découlant d’un système qui a
besoin d’être expliqué pour être compris. "C’est trop littéraire" conclut-il.
(1) : Comme l’avait fait, à la génération précédente, John Ruskin in "the True signification of the gothic".
(2) : Toorop s’était fait excuser,
étant malade, et d’ailleurs peu tenté par ce genre de cérémonie.
Kickert le remplaça donc. Il n’avait pas cette année-là de grief à
l’encontre de Baard qui s’était gardé de jouer les censeurs, et, dans
l’intérêt du MKK, il avait tiré un trait sur l’incident de l’année
précédente.
(3) : "Composition" 1912 Opus A.12-01.
(4) : N° 246, 247, 248 des 12, 19 et 26 octobre 1912.