II - Cercle de l'art moderne > Commentaires sur les Cubistes
Dans de Ploeg (1),
le responsable de la partie beaux-arts, W.J. Steenhof, auquel le MKK
doit tant, commença par donner son avis d’ensemble : "découvrir cet art le plus moderne, cela en vaut la peine", mais à propos du Cubisme, il dénonce "la grande erreur de considérer l’œuvre comme la justification d’une observation intellectuelle". Il y voit pourtant une promesse. Il en dénonce tout de même les excès à propos du "Joueur de mandoline" de Picasso qui "a caché le musicien derrière un mélange hétéroclite de formes énigmatiques".
Son appréciation de Mondrian est plus nuancée. Il lui trouve moins de
prétention qu’en 1911 et une expression plus pure dans des œuvres "plus douces et plus chaudes",
une déclaration somme toute méritoire, car il ne lui échappe pas que
Mondrian va plus loin que Picasso en tirant davantage les conséquences
du principe que "dans l’art, la représentation objective n’a pas d’importance".
Son jugement sur le peintre est d’une acuité admirable, presque
prophétique en ce qu’il lui attribue tout simplement un effort vers ce
que l’art abstrait a depuis tenté de réaliser : "il ne cherche qu’à rendre ce que sa sensation a découvert quasiment comme un balancement musical de lignes rythmiques". Ce qui était exact pour les "Arbres en fleurs" qu’exposait Mondrian au MKK cette année-là et à quoi le même a plus tard renoncé en privilégiant la géométrie plane aux dépens de la musique.
Le rédacteur du Journal de la province de Nimègue (2)
fait aussi des efforts honnêtes pour décrire ce qu’il a vu et
comprendre cette forme d’art toute nouvelle. Il déclare être à peine
remis du choc produit par l’exposition des futuristes, mais consent à
rendre compte calmement du MKK 1912.
Cette association, il est vrai, était présidée par Toorop, l’artiste le
plus célèbre de Nimègue et bénéficiait de ce fait d’un préjugé
favorable. Pourtant "K" avoue n’avoir pas ressenti la surprise attendue
devant les œuvres de Toorop chez qui il voit une combinaison des deux
courants extrêmes, le parti décoratif où il range Gestel, Sluyters et
Verhoeven et le parti cubiste auquel appartiennent Picasso, Schelfhout
et Mondrian. Il évoque en passant les critiques qui se sont élevées sur
la mise à disposition d’un bâtiment municipal pour un art "considéré par beaucoup comme insensé et inesthétique", mais il distingue lui aussi les futuristes "qui veulent brader les musées, car l’art ancien empêcherait de comprendre le nouveau"
et les cubistes qui veulent reprendre les lois anciennes pour l’art
moderne et lui apporter un rythme cérébral et volontaire. Malgré le
caractère systématique de la doctrine cubiste, il espère que de ce
nouveau style sortira un rythme sensible et qu’ainsi les œuvres
cubistes finiront par être admises comme celles de van Gogh, Cézanne et
Gauguin, autrefois huées. Il isole une catégorie particulière de
cubistes qu’il nomme les "cubistes lisibles" où il range Jacoba van
Heemskerck, Louis Schelfhout, Conrad Kickert, Hermann Lissmann et
Petrus Alma, mais il leur préfère de loin Leo Gestel et Jan Sluyters
dont il juge les œuvres remarquables. Ne dirait-on pas que finalement
les vapeurs du chaudron en train de bouillir commencent à chatouiller
avec succès les narines du côté de Nimègue ?
(1) : 5ème année, n° 5, novembre 1912.
(2) : Signé seulement de l’initiale
"K", son article occupe tout le rez-de-chaussée de la première page du
quotidien "Provinciale Geldersche en Nijmeegsche Courant".