IV - Aux Pays-Bas pendant la guerre > Le Journal du MKK absorbé par la concurrence
Tout cela donne l’impression des derniers feux d’un groupe en déclin.
Kickert cherchait pourtant à innover. Il entreprenait la publication
d’un Journal du Cercle de l’art moderne,
animé notamment par un écrivain et par un musicien, brochure
bimensuelle qui devait publier des textes de fond sur l’évolution des
arts plastiques et annoncer des réunions musicales et autres dans les
locaux du Keizersgracht. Le premier numéro parut le 1er mars 1916 et la
publication continua sans problème jusqu’au 16 avril où le n° 4
continuait l’édition du texte d’une conférence "Sur la peinture
moderne" de Wijnschenk-Dom jusqu’à la page 31 (1).
Il aurait fallu un œil bien exercé aux lecteurs de cette brochure pour
découvrir à la sortie du numéro 5 en date du 1er mai 1916, un
changement fondamental et pourtant dissimulé avec le plus grand soin.
Le titre s’inscrivait dans les mêmes caractères et le même format que
d’habitude, Het Journaal, mais à la ligne suivante, les mots "van den Moderne Kunstkring" étaient remplacés par "van den Nieuwen Kring". Au verso, sous le titre "De Nieuwe Kring"
figurait un texte en petits caractères comme ceux utilisés pour les
autres articles, qui donnait l’information suivante : "Le
Nouveau Cercle est une organisation qui, bien que jusqu’ici ne portant
pas un nom qui lui soit propre, existait déjà avant qu’elle n'essaye
d’englober le MKK ; en réalité, il était né spontanément au moment
où quelques jeunes gens, peintres pour la plupart, eurent conscience
ensemble et chacun de son côté, de ce que l’art moderne devait être un
art de style ; autrement dit que seul est digne de vivre et d’être
apprécié, l’art qui n’est plus soumis aux vicissitudes de la vie
humaine et veut être le reflet de l’immutabilité inscrite dans cette
vie dont elle reçoit la stabilité. Sa première action fut d’essayer de
réorganiser le MKK, mais cette tentative ne réussit pas ; le MKK
semblait ne pouvoir être autre chose qu’un assemblage d’éléments unis
dans l’intention d’atteindre, chacun pour soi, une prospérité aussi
grande que possible socialement et matériellement. Ceux qui maintenant
forment le Nouveau Cercle ne nient pas aux autres le droit de diriger
leurs travaux vers l’acquisition de cette prospérité. Ils ont au
contraire reconnu ce droit en sortant du MKK. Ce qu’ils ont maintenant
l’intention de faire avec le Nouveau Cercle est déjà à grands traits
indiqué plus haut ; comme l’explication des moyens particuliers
qu’ils emploieront pour que, le plus tôt possible, leur but soit
atteint. En voici le début dans "Le Journal du MKK" dont l’édition sous
le nom de "Journal du Nouveau Cercle" continue sous la même forme".
A la suite de cette déclaration figurait la liste des membres du Nouveau Cercle :
Jacob van Domselaer, H.F. ten Holt, W.L. ten Holt, M.J. Lau, J.
Raedecker, Pieter Talma, J.G. Weyand, Matt Wiegman, C.A.
Wijnschenk-Dom. En dehors de l’épouse de ten Holt, tous ces membres
figuraient déjà dans la liste du MKK publié précédemment par het Journaal van den Moderne Kunstkring. En revanche, la liste du MKK contenait
jusque-là beaucoup de noms qui désormais disparaissaient : ceux
des membres d’honneur sans exception ; ceux des deux présidents,
Toorop, Conrad Kickert ; ceux d’Alma et de Verhoeven (les seuls
Hollandais à avoir fourni des œuvres inédites à l’exposition
franco-hollandaise). En outre, étaient rayés les Français Le
Fauconnier, Gromaire, Léger, et les deux Slaves Kontchalowsky et
Machkoff.
Au bas de la liste du Nieuwe Kring, un autre titre "Sur la peinture moderne" était suivi de la mention "suite de la page 31". Ainsi la vie de Het Journaal suivait son cours, sans changement apparent. Le précédent numéro de Het Journaal
publié sous le contrôle de Kickert, le 16 avril, annonçait pour le
surlendemain, dans les locaux du Keizersgracht, un concert donné par le
pianiste et compositeur Jacob van Domselaer (2) et l’ouverture d’une exposition de peintures et dessins de Matthieu Wiegman, tous deux membres du MKK et que l’on retrouve tous deux au Nieuwe Kring
dès le 1er mai. Le même numéro du 16 avril annonçait aussi aux lecteurs
de Het Journaal, qu’ils pouvaient acquérir au prix de trente florins,
l’album des eaux-fortes de Ploumanac’h gravées par Kickert. Mais les
lecteurs des numéros suivants, publiés cette fois-ci sous l’égide du Nieuwe Kring,
découvrirent, page 64, une annonce concernant un album de six
lithographies de Lau et l’édition prochaine de sept partitions pour
clavier de J. van Domselaer, tous deux passés au Nieuwe Kring. Ils
pouvaient aussi voir en couverture des reproductions d’œuvres de
Weyand, Matthieu Wiegman et ten Holt, nouveaux croisés sous le drapeau
du Nieuwe Kring qui
succédaient sur la couverture à un Matthieu Wiegman et à un Lau qui
avaient illustré les quatre numéros publiés par Kickert. A-t-il paru
évident aux lecteurs fidèles de Het Journaal,
que ces deux artistes avaient à partir du n° 5, changé leurs
visées matérielles pour servir "un art de style, seul digne de
vivre" ?
(1) : Les pages étaient numérotées en continu depuis le premier numéro.
(2) : Ce concert eut lieu, comme
indiqué, avec un riche programme : Bach, Debussy, Schoenberg et
quelques extraits de "Essais pour un art de style" une partition de
Domselaer lui-même. La femme de Domselaer nota dans ses "Lettres sur
Meerhuizen" (1915-1919) : "Il régnait au Keizersgracht une
atmosphère pesante; l’obligation de la tenue de soirée donnait plus une
impression de snobisme que de style". Cette remarque révèle un parti
pris de dénigrement. Aux Pays-Bas à cette époque (une tradition
respectée encore cinquante ans plus tard), personne n’allait assister à
un concert sans être en tenue de soirée, ce qu'on ne faisait pas
nécessairement pour aller au théâtre. Le soliste, son mari, s’y était
naturellement soumis, devant jouer en public (où il espérait bien
compter du reste l'un ou l'autre jonkheer du comité d’honneur, des gens
qui, de toute façon, s'habillaient pour le dîner, même pris à la
maison).