IV - Aux Pays-Bas pendant la guerre > Rencontre de Gée
Quittant Veere au début de 1915, Kickert se rendit à Amsterdam, à l’American hôtel
sur la Leidscheplein, où il séjourna en février et mars avant de
trouver une installation au 10 Frederiksplein au début du printemps. La
Zélande se rappela à son souvenir le 14 avril en le nommant membre de
son Académie des sciences. Ce n’était pas un motif suffisant pour y retourner !
Un événement survint qui bouleversa la vie personnelle de Conrad. Bel
homme, il était de temps à autre l’objet d’avances de jeunes femmes qui
cherchaient à pimenter leur existence par une conquête flatteuse. Il
leur résistait, ce qui ne l’empêchait pas de souffrir du tempérament
quasi-frigide de Mary. Pour le malheur du couple (et de leur fille de
cinq ans, la petite Aleyda, dite Popke), Conrad rencontra une jeune
personne, de douze ans sa cadette, Geertje van der Werff, dont la
beauté l’enflamma. Ils se trouvèrent de plus, en accord complet d’idées
et de sentiments et connurent ce que l’on nomme un coup de foudre pour
en marquer le caractère exceptionnel. Conrad n’y réagit pas non plus
banalement. Il abandonna épouse et enfant, ce qu’il considéra comme un
geste de franchise, car il avait ressenti tout à coup que sa vie
entière serait subordonnée à cette passion, ce que l’avenir vérifia.
Son équilibre de peintre s’en trouva néanmoins affecté et sa capacité
créatrice l’abandonna durant des mois où il ne produisit que peu de
toiles.
Intact, pourtant, se montra son désir de reprendre l’aventure du MKK. Il découvrit que le temps en avait changé les données. Dès 1913, le Hollandsche Kunstenaarskring avait recruté parmi les membres du Moderne Kunstkring
bien au-delà de Gestel et de Sluyters. L’adjectif "hollandsche" au lieu
de "moderne" voulait-il signifier que désormais on resterait entre soi,
sans s’encombrer de peintres français ou slaves ? Le Kunstenaarskring ne sélectionnait pas les participants à ses expositions par le barrage d’un jury. Ce beau principe emprunté au salon des Indépendants de
Paris, n’était, hélas, qu’un leurre : un choix strict était fait
par quelqu’un ou par quelques-uns qui restaient sous le couvert de
l’anonymat.
Mais il y avait plus grave. Conrad avait renoncé à réunir une exposition du MKK en
1914, parce que les participants espérés de France, d’Allemagne ou de
Russie, avaient été mobilisés dans des camps opposés ou éparpillés par
la guerre. Voici que, profitant de cette abstention, des sociétaires
hollandais du MKK de 1913 avaient obtenu pour 1915 l’utilisation de salles du Stedelijk Museum en gardant l’étiquette favorablement connue du Moderne Kunstkring.
Après tout, pensèrent-ils, ce nom n’était pas une marque déposée,
n’appartenait pas à Kickert mais à cette association dont ils étaient
membres (1).
Kickert devait donc résoudre le problème que soulevait d’emblée la survivance d'un pseudo MKK, disposer d’un autre espace d’exposition pour y présenter des œuvres récentes de grande qualité.
Il loua pour ce faire et accessoirement comme domicile, un superbe
hôtel particulier au bord d’un de ces canaux semi-circulaires et
concentriques où logeait tout ce qu’Amsterdam comptait comme vieilles
familles dans d’élégantes demeures. Il s’installa au n° 756
Keizersgracht, une construction patricienne dont les plafonds élevés
ornés de stuc, les murs divisés en larges panneaux par des moulures,
permettaient de présenter, avec un recul suffisant, des tableaux de
bonne taille (2). A condition
d’échelonner dans le temps les œuvres exposées, on pourrait ainsi en
montrer beaucoup. Tout ceci représentait d’énormes dépenses auxquelles
s’ajouteraient chaque année les frais de la présentation d’œuvres
nouvelles, indispensable pour assurer la promotion de ses collègues et
amis du MKK et pour habituer l’œil du public au style moderne. Il
fallait donc que cette activité permît de régler, outre le loyer,
impôts, assurance, éclairage, chauffage, entretien, surveillance des
œuvres exposées au public.
(1) : Ils réitérèrent en 1916 et ce
n’est qu’en 1917 qu’ils se réunirent au même endroit sous la bannière
du Hollandsche Kunstenaarskring, pour revenir dès 1919 et jusqu’en 1922
à la dénomination Moderne Kunstkring.
(2) : Cf. photographies p. 86 et 87 prises lors de l’exposition 1915 du MKK.