V - Epanouissement à Chevreuse > L'enclos de Talou à Chevreuse
Conrad Kickert découvrit dans un hameau, sur les pentes de la vallée de
Chevreuse, non loin de Choisel , une ancienne ferme avec de
petites mais nombreuses dépendances, mille mètres carrés en tout.
Alentour, des cultures et des bois. Mais, à cinq kilomètres, la ligne
ferroviaire de Sceaux accueillait le voyageur pour le conduire, en une
petite heure, place Denfert-Rochereau ou au carrefour Port-Royal, en
face de la Closerie des lilas. La propriété devint "l’Enclos de Talou", du nom du lieu, lorsque Conrad s’en fut rendu propriétaire le 30 janvier 1920, par le versement de quatre mille francs "en bonnes espèces du cours et billets de la Banque de France" (1).
Pour transformer les bâtiments agricoles en ensemble voué à la
peinture, la tâche était lourde. Conrad Kickert s’y attela lui-même. La
volupté du grand air, le plaisir d’utiliser sa carcasse et sa poigne de
géant, de manier des matériaux et surtout le bonheur de concevoir,
d’agencer, d’ordonner, c’est ce qu’il ressentit en perçant des
ouvertures, étayant une charpente, dressant des cloisons, consolidant
ici, arasant là. La ferme devint "la Maison" tout simplement, les
granges et les écuries passèrent au rang de "Pavillons" qui abritaient
des ateliers et un logis pour les collègues, baptisé "les Copains". Il
y eut même un "Hameau des dames" (2), peut-être l’ancienne laiterie, ce
qui aurait pu évoquer Marie-Antoinette si tout cela n’avait été
tellement sommaire. Un puits, mais pas d’eau courante. Pas
d’électricité. Pour les commodités, une cahute dans le jardin dont la
destination était clairement indiquée par une pancarte "Respectez ma
solitude" (3). Le mobilier assez massif – des coffres et bahuts
néerlandais déménagés de Paris – était agrémenté de l’ensemble
Directoire d’une jolie facture, acheté naguère à Mondrian, et il
s’enrichira en 1921 d’éléments que Conrad fit venir des Pays-Bas (4). Mais
l’utilitaire était sacrifié ; pour faire cuisine à part, dans un
des pavillons, les amis disposeront d’un réchaud à pétrole prêté par
Gromaire qui recommandait qu’on le graissât bien, pour qu’il ne s’abîme
pas (5).
C’est d’ailleurs le ménage Gromaire qui, en juillet,
connut le premier l’hospitalité de Talou. Ils y prolongèrent leur lune
de miel, car le mariage les avait comblés de félicités. Marcel, si
réservé et si travailleur n’avait-il pas écrit à Conrad et Gée :
"Je dois confesser que j’ai quelque peu oublié la peinture tous ces
temps-ci et pour cause. Il y a des bonheurs qui ne laissent rien
d’autre à désirer". Sa femme avait authentifié cette déclaration par ce
post-scriptum "Jeanne, heureuse, envoie toute son affection à ses deux
chers amis" (6). Luc-Albert Moreau qui leur succéda immédiatement était
lui un célibataire endurci. Les sculpteurs Bronner et van Hall, comme
plusieurs autres Néerlandais, vinrent aussi et ils devaient revenir
maintes fois par la suite... comme on le verra.
(1) : Acte passé devant Me Henri
Leguay, notaire à Chevreuse (archives Gard-Kickert). Le financement de
cet achat, s'il ne provenait pas d'un emprunt, dut absorber le reliquat
de la fortune de CK.
(2) : Evoqué par CK dans les lettres à Bronner du 2 avril 1921 et du 6 ou du 7 août 1923 (archives Gard-Kickert).
(3) : Souvenirs de Christian de Moor (op. cit.).
(4) : Lettre de CK à Bronner du 2 avril 1921 (RKD, archives Bronner, La Haye). Il s'agit d'une partie du mobilier de Texel.
(5) : Lettre de Gromaire à CK du 2 septembre 1921 (archives Gard-Kickert).
(6) : Lettre de Gromaire à CK et Gée du 16 avril 1920 (archives Gard-Kickert).